Une femme vend des drapeaux turcs à Istanbul, le 30 juillet. | Petros Karadjias / AP

La population turque est appelée, dimanche 7 août à partir de 17 heures, à se rassembler sur l’esplanade de Yenikapi, au bord de la Mer de Marmara dans la partie européenne d’Istanbul, afin de célébrer une dernière fois la victoire sur le coup d’Etat manqué d’une partie de l’armée contre le président Erdogan.

Lancé dans une vaste purge en interne (12 000 interpellations, 60 000 mises à pied), le numéro un turc accuse « la structure parallèle », soit la puissante confrérie religieuse du prédicateur Fethullah Gülen exilé aux Etats unis, d’avoir fomenté le coup de force qui a coûté la vie à 270 personnes et fait plus de 2000 blessés.

« L’esprit supérieur (la confrérie) agit de façon impitoyable. Je ne pense pas que ce [coup de force] soit terminé. Nous ne vaincrons pas en restant mous », a déclaré le numéro un turc samedi 6 août depuis sa résidence officielle de Tarabia sur les hauteurs du Bosphore à Istanbul.

5 millions de bouteilles d’eau

D’après la presse turque, plus de trois millions de personnes sont attendues dans cette partie de la ville, placée sous étroite surveillance en raison du risque sécuritaire élevé. Exceptionnellement, la municipalité a mobilisé 200 bateaux chargés de faire la navette de la rive asiatique à la partie européenne. Cinq millions de bouteilles d’eau ont été prévues pour étancher la soif des participants en ces chaudes journées d’août, 2 millions de drapeaux, 1 million et demi de casquettes ont été imprimés spécialement pour l’occasion.

Fait inédit, l’opposition parlementaire — kémaliste et ultranationaliste — a été conviée au rassemblement. Devlet Bahceli, le chef du Parti de l’Action nationale (MHP, ultranationaliste) ne s’est pas fait prier pour en être.

En revanche Kemal Kilicdaroglu, le leader du Parti Républicain du peuple (CHP, kémaliste, social démocrate) a émis des réserves avant d’accepter de partager la tribune avec le président Erdogan et avec Binali Yildirim, son premier ministre.

Après d’intenses négociations, M. Kilicdaroglu a fini par accepter l’invitation du Parti de la Justice et du Développement (AKP, islamo conservateur au pouvoir depuis 2002) à condition que les drapeaux brandis soient ceux du pays et non pas ceux des partis. Et pas question non plus que les portraits de M. Erdogan dépassent en taille ceux Mustafa Kemal dit Atatürk, le fondateur de la république laïque.

Troisième formation d’opposition, le parti pro kurde HDP (Parti de la Démocratie des peuples) ne sera pas de la fête. Accusé de soutenir la rébellion armée du PKK (Part des travailleurs du Kurdistan, interdit en Turquie), le HDP « se présente comme le parti des Kurdes mais c’est faux », a confié au Monde, samedi, le président Recep Tayyip Erdogan. « Le parti qui rassemble le plus de voix kurdes est l’AKP, que j’ai fondé ».

Trois semaines de mobilisation

Avant tout, le rassemblement doit exalter l’idée d’une Turquie sur la voie de l’union nationale, prête à affronter tous les ennemis, internes (le PKK, la confrérie de Fethullah Gülen) comme externes (Daech), sans compter les Occidentaux, dont le manque d’empathie pour la démocratie turque est pointé du doigt par une large partie de la population.

Traumatisée par les événements tragiques du 15 juillet (270 morts, plus de deux mille blessés, le parlement bombardé), la population a besoin de croire en des jours meilleurs. Au moment où les institutions de l’Etat — armée, justice, éducation, santé, sport, recherche scientifique —, sont purgées du « virus » (la confrérie), l’accent doit être mis sur « la défense de la démocratie et l’hommage aux martyrs », comme l’indiquent les affiches rouges qui ont envahi les couloirs du métro, annonçant l’heure et le lieu du rassemblement.

M. Erdogan l’a dit, la manifestation géante de Yenikapi va « couronner » trois semaines de mobilisation populaire sur les places des grandes villes. Depuis la tentative de coup d’état survenue dans la nuit du 15 au 16 juillet, des milliers de partisans du président Erdogan manifestent chaque soir — notamment sur la place Kizilay à Ankara et sur la place Taksim à Istanbul — afin d’assurer leur « tour de garde » de la démocratie.

Pour permettre aux familles défavorisées des quartiers périphériques de se joindre au mouvement, les municipalités ont décrété la gratuité des transports. De 18 heures à 1 heure du matin, repas et boissons fraîches sont distribués abondamment et gracieusement.

Fusillade la nuit du putsch

Ces rassemblements avaient commencé dès la nuit du putsch lorsque le président Erdogan, via l’application Facetime, avait invité ses concitoyens à descendre dans la rue pour contrer le coup de force. C’est à ce moment-là que le rapport de force avait basculé.

Répondant à son appel, une foule avait alors tenté de franchir à pied le pont Fatih Sultan Mehmet, bravant l’interdiction de traverser émise par les putschistes. De jeunes appelés, placés par les conjurés sur les ponts afin d’empêcher toute circulation, avaient ouvert le feu sur les manifestants bien décidés à traverser.

Bilan, deux personnes furent tuées par balles et dix-huit autres furent blessés. Cette fusillade, puis le bombardement du parlement ainsi que l’attaque du QG des forces spéciales à Ankara (18 morts) suscita un fort mouvement de rejet envers les putschistes. On apprit par la suite que les deux personnes mortes sur le pont étaient le publicitaire Erol Olçak, un ami de longue date du président Erdogan, connu pour avoir mené la plupart des campagnes électorales de l’AKP, ainsi que son fils, âgé de seize ans.