Damian Marley, le fils ­cadet de l’icône du reggae, a posé une drôle de question aux 20 000 personnes présentes à son concert en clôture du festival Reggae Sun Ska, dimanche 7 août : « Est-ce qu’il y a des fans de Bob Marley, ici ? » Comme s’il était possible d’aller à un festival de ce genre sans aimer la musique de son père ? La question n’était pourtant pas aussi incongrue.

Pour sa 19e édition, qui s’est ­tenue pendant trois jours sur le campus de l’université de Bordeaux, le festival s’est évertué à proposer d’autres registres musicaux à un public qui s’est considérablement rajeuni. Du rap juvénile de Bigflo et Oli à l’électro hardcore de Vandal en passant par les punks de Ludwig von 88, beaucoup d’artistes n’avaient pas grand-chose à voir avec la musique de Bob Marley, mais le directeur de la manifestation, Fred Lachaize, le reconnaît sans complexe : « Nous avons dû évoluer. On s’est rendu compte que ces étudiants de 22-23 ans qui fréquentent dorénavant le festival se moquent bien des vieilleries qu’on leur proposait sur les grandes scènes. IIs veulent les artistes qu’ils écoutent à leur âge. »

Le festival s’est évertué à proposer d’autres registres musicaux à un public qui s’est considérablement rajeuni

Pour écouter du reggae, il fallait aussi se promener dans les allées du festival et tomber sur la fanfare Ensemble National Reggae ou bien se rendre du côté de la scène Dub Foundation et retrouver Big Red de Raggasonic au meilleur de sa forme avec le collectif formé par le DJ russe Vadim.

Sur l’une des deux grandes scènes de la prairie, c’est Bigflo et Oli, groupe de rap français, double Disque d’or avec leur album La Cour des grands, qui ont les premiers ­relevé le défi en ouverture du festival, vendredi 5 août. Les deux frères toulousains, Florian et Olivio ­Ordonez, 23 et 20 ans, ne sont pas des grands consommateurs de ­reggae. Seul Oli, trompettiste, reconnaît quelques bœufs avec un groupe toulousain, les Monkey Tree, et apprécie l’album de Damian Marley avec le rappeur Nas.

« Herbes aromatiques »

Dès le début de leur concert, les rappeurs vont chercher le public du Reggae Sun Ska en le bousculant : « Ça nous fait très plaisir d’être là, même si nous savons que les fans de reggae sont un peu endormis pendant les concerts. Mais ce n’est pas de votre faute, hein ? C’est à cause des herbes aromatiques. Au niveau ambiance, vous êtes zéro. »

Accompagnés d’un violoncelliste et d’un DJ, les deux frangins vont utiliser toutes les ficelles de leur culture, cousine du reggae : le beatbox (reproduire des instruments avec sa voix), le clash, l’affrontement, les musiciens live et les invités comme Naâman, la nouvelle vedette du reggae français, qui aspirera tout le public du festival devant son concert le lendemain. Comme lors de leurs récentes apparitions en concert ou à la télévision, les deux frères surprennent par leur fraîcheur et leur technique : « Souvent les gens nous découvrent en live, car les concerts, constate Bigflo, c’est ­notre spécialité. Là, sur scène, ceux qui nous sont réfractaires, nous pouvons aller les chercher du ­regard, les mettre au défi de ne pas aimer ce que nous faisons. »

Bigflo, rappeur : « Là, sur scène, ceux qui nous sont réfractaires, nous pouvons aller les chercher du ­regard »

Avec le temps, l’écriture des deux frères dont les raps racontent des histoires ordinaires s’est raffermie, comme sur leur dernier texte, Je suis, publié sur la réédition de leur album, sortie fin juin. Bigflo y parle d’un ami homosexuel « parce qu’on n’en parle jamais dans le rap. Je me suis dit que, en écrivant ça, j’allais me faire chambrer et en fait pas du tout. Je n’ai pas eu une remarque, une insulte. Dans notre génération, on est bien finalement ensemble. » « Positive vibration », chantait Bob Marley.