Elle est bien pratique, l’épithète « historique ». On l’emploie à tout bout de phrase pour désigner telle défaite, forcément cuisante, tel record, plus ou moins interplanétaire, ou tel événement marquant l’entrée d’un sport au programme des Jeux olympiques. Celle du rugby à VII, par exemple. Oui, ascète. Et non à Sète, mais à Rio de Janeiro.

Quelles différences avec le rugby à XV, qui a lui aussi eu droit à son quart de siècle olympico-warholien, au programme des Jeux entre 1900 et 1924 ? Avant les demies et la finale de l’épreuve féminine, lundi 8 août au soir, la rédaction de Rio ne répond plus a traîné ses guêtres, et ses chaussures aussi, au Deodoro Stadium durant les deux jours premiers jours de tournoi.

Petit jeu des sept différences

1. La densité jambes-pelouse

AP pour "Le Monde"

Prenez un terrain de rugby aux dimensions standards (100 m de long, 60 m de large), mettez-y deux fois moins de jambes ou presque, et vous obtiendrez un résultat fulgurant : des espaces, beaucoup d’espaces, pour prendre de vitesse les adversaires comme un automobiliste prendrait une voie rapide.

Incroyable : au rugby à VII, on joue à « VII » (tant qu’à faire, restons en chiffres romains) : « II » (2) piliers, « I » (1) talonneur, « II » (2) demis, « I » (1) centre, et « I » (1) un ailier arrière. Les mêlées se jouent donc à 3 (revenons aux chiffres arabes), et les photos se prennent facilement pour avoir tout le monde dans l’objectif, fût-il celui d’un simple téléphone intelligent.

2. L’espace-temps

Bonjour l’angoisse pour les journalistes qui s’amuseraient, façon de parler, à écrire un compte rendu de chaque match. Une rencontre dure à peine quatorze minutes. Plus précisément, deux fois sept minutes (comme le nombre de joueurs d’une équipe sur le terrain, oui, vous avez tout à fait raison). Un effort court, mais répété à raison de deux matchs dans la journée.

Ce qui va vite, très vite, et distord quelque peu, voire du tout au tout, la conception d’un match de rugby classique (quatre-vingts minutes). En forçant le trait, on pourrait même dire que l’égalisation des Canadiennes en quarts de la finale face à la France a été longue à se dessiner : il a effectivement fallu attendre près de trois minutes.

3. L’attente

Pour les supporteurs qui rechignent à danser sur un air de bossa-nova à la mi-temps (et à risquer d’être pris sur le vif), l’attente peut être longue entre deux matchs d’une même équipe dans la même journée : compter quatre bonnes heures, le temps de remplir quelques grilles de mots fléchés ou d’aller musarder un peu dans le complexe sportif de Deodoro, gigantesque site militaire où s’enrégimentent aussi les amateurs de hockey sur gazon ou de tir à la carabine

AP pour "Le Monde"

4. La géographie

D’un match à l’autre, les drapeaux changent, et les « Allez ! » deviennent vite des « Vamos! ». Le rugby à VII a ceci d’agréable qu’il permet à l’honnête spectateur de réviser sa géographie, voire de lui apprendre que le rugby pouvait se jouer ailleurs que dans une dizaine de pays dans le monde.

Brésil, Kenya, Espagne, Colombie. Tous ces pays – dont on dira simplement que la tradition rugbystique y est encore une idée neuve – ont participé au tournoi olympique de rugby à VII féminin. Andrea Londono, ingénieur de Medellin, ci-dessous sur la photo et ci-contre dans le texte : « En Colombie, les gens confondent encore parfois le rugby avec le football, et ils en parlent comme du sport avec un ballon en forme d’œuf. »

AP pour "Le Monde"

5. Les déguisements

On s’est presque senti extravagant, dans notre chemise flottante et à manches longues pour faire barrage au zika, lorsque cette supportrice française en quête d’un rafraîchissement nous a rappelé le code vestimentaire du rugby à VII. En gros, venir déguisé est gage de bon goût, même si la plupart des spectateurs ont dérogé ce week-end à cette règle.

Le reste de l’année, il faut avoir vécu un tournoi du circuit mondial de rugby à VII pour comprendre : des fêtards réunis dans une même tribune, les uns déguisés en extraterrestres, les autres en famille Pierrafeu, le gobelet de bière étant optionnel.

AP pour "Le Monde"

6. Le voyage

Le joueur de VII a intérêt à avoir de bons chewing-gums. Car il prend souvent l’avion. Ici, les rebonds l’ont donc conduit à Rio, dans le quartier militaire de la ville, où les chars circulent autant que les voitures. Une autre fois, les septistes de l’équipe de France iront à Dubaï, Hongkong, Singapour ou encore Las Vegas, quatre des dix dates du circuit masculin.

Aucune Coupe du monde de rugby à XV, à l’inverse, ne s’est encore disputée à Rio de Janeiro. Et même au Brésil. Et même en Amérique du Sud.

Le peu de monde dans les tribunes ? Brett Gosper, directeur général de World Rugby, la fédération internationale, rappelle à juste titre que d’autres sports ont subi la même désaffection depuis le début des Jeux. Et promet « un stade plein » pour la finale féminine de ce lundi, puis pour celle des hommes, mercredi.

AP pour "Le Monde"

7. La parité

Ou du moins un semblant de parité. Les épreuves féminines et masculines se tiennent durant la même quinzaine et dans le même lieu, ce qui se produit aussi parfois lors des épreuves du circuit annuel. Parce qu’il est olympique, et qu’il justifie des investissements, le rugby à VII a amélioré les conditions d’entraînement, qui se débrouillaient jusque-là dans l’amateurisme du XV féminin. Avec le sourire et loin de s’en affliger, l’Espagnole Angela Del Pan dit toucher « 1 000 euros par mois grâce au soutien du gouvernement ». Autant que les garçons, assure-t-elle.