L’université de Manchester, qui heberge l’Institut de physique dans lequel Abass Roble travaille. | The University of Manchester

Dans le grand jardin public de Milan, dédié au journaliste Indro Montanelli où je me prélasse en cette fin de juillet caniculaire, il y a des centaines de jeunes migrants érythréens qui ont posé là, pour une nuit ou pour une saison, leurs baluchons. Ils arborent un sourire pas feint pour deux sous et ignorent tout de cette grande plume qui couvrit jadis la conquête de l’Abyssinie par Mussolini et prit pour épouse une jeune Erythréenne qui aurait aujourd’hui l’âge de leur grand-mère.

Ils se déplacent par deux ou par trois, se tenant la main, traînant la sandale, échangeant des confidences. Ils ont la nonchalance de ceux qui savent prendre la vie du bon côté. Plusieurs fois par jour, les silhouettes filiformes enjambent la haie, traversent la voie rapide en courant pour se faufiler dans les rues autour de la Porta Venezia. Dans ce jardin public, personne ne prête plus attention à leurs mouvements. Ces jeunes Erythréens font désormais partie du décor, au même titre que les joggeurs et les rares écureuils.

La presse italienne et européenne parle rarement en bien de cette frange de l’humanité aux pieds poudrés par la poussière de l’exil. Pourtant, on devrait y prendre garde car il n’est pas impossible que le Mozart, la Marie Curie ou le Mandela de demain joue sous les jupes de sa mère refugiée dans un camp de rétention en Macédoine, sur une île grecque ou dans la « jungle » de Calais. Saluons donc les journaux britanniques qui viennent de nous narrer le récit emblématique d’un jeune Somalien. C’est dans la blogosphère somalie, que j’ai déniché cette histoire.

Un faux camps de migrants en plein cœur de Londres pour rappeler celui de Calais
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Détenu un an par les services britanniques de l’immigration, Abass Roble (prononcez Roblé) accède au collège en 2007 lorsqu’il fut enfin admis sur le sol de Grande-Bretagne. Au collège comme au lycée, tous ses enseignants remarquent son ardeur. Bac en poche, le jeune Abass Roble veut tâter les sciences physiques mais son rêve s’éloigne, faute de ressources. Deux ans sur une liste d’attente. A l’issue du purgatoire, une bourse d’études, agrémentée d’une petite aide offerte par la Fondation Helena-Kennedy, permet à Abbas Roble de franchir, en 2012, les grilles de l’université de Manchester.

Le problème du logement reste un obstacle majeur, mais rien n’arrête notre aspirant chercheur. Preuve est faite que les humains les plus faibles socialement ne sont pas moins enclins à l’effort et à l’optimisme que leurs congénères mieux lotis. Tous les jours que Dieu fait, le surdoué va rejoindre sa faculté en empruntant le train à Leeds où se trouve sa famille d’accueil, et ce pendant trois ans jusqu’à ce qu’un professeur résidant près du campus ne lui offre un logement pour sa quatrième et dernière année.

Après un parcours exemplaire et des notes exceptionnelles, l’inscription en doctorat est hors de la portée d’Abass Roble, faute de moyens financiers. Une nouvelle fois, un généreux bienfaiteur, touché par son récit, signe un chèque à l’université. Rassuré pour la suite de ses études, le Einstein en herbe fait des étincelles. En master, il décroche la première place. Sa discipline ? La physique théorique. Ce succès lui ouvre les portes du très convoité Institut de physique.

Politiciens, économistes et journalistes mettent en avant le contexte géopolitique qui jette sur les routes des millions d’individus. Certes, la guerre, la sécheresse ou le chômage endémique sont les causes premières de cet exode planétaire. Dans leur analyse, ils négligent souvent la part subjective et existentielle, performative et initiatique qui entre en ligne de compte, surtout chez les jeunes migrants.

Du haut de ses 22 ans, Abass Roble a mérité le privilège de se faire le meilleur avocat – et la mascotte – de son université : « Manchester est la Mecque de la nouvelle physique. C’est ici que la séparation de l’atome a été réalisée, que le premier ordinateur a été construit et le graphène isolé pour la première fois. Nous sommes une institution mondialement reconnue pour la physique fondamentale, de plus Manchester est une belle ville cosmopolite. Je la recommande vivement à tous ceux qui sont à la recherche d’une expérience estudiantine parfaite », déclare Abass à la presse.

Les responsables de l’université de Manchester ne tarissent pas d’éloge sur cet étudiant exceptionnel au parcours singulier, qui va sans doute inspirer d’autres petits réfugiés accueillis demain dans les meilleurs temples de la science. Pour notre plus grand bénéfice.