Le président Erdogan lors du rassemblement en son soutien le 7 août, à Istanbul. | Emrah Gurel / AP

La question de la peine de mort est un marqueur pour les relations souvent difficiles entre l’Union européenne (UE) et la Turquie. Son abolition, formalisée en 2004 mais votée deux ans plus tôt, avait permis le démarrage des négociations d’adhésion à l’automne 2005. Son rétablissement, à nouveau évoqué par le président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan lors d’un rassemblement en son soutien, dimanche 7 août, et dans une interview donnée au Monde la veille, signifierait la fin de ce processus comme le soulignent la chancelière allemande, Angela Merkel, ou le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.

Malgré leur volonté de ménager la Turquie, un partenaire incontournable, comme le montre notamment l’accord sur les migrants mis en place en mars, les dirigeants européens ne pourraient pas rester sans réagir à un rétablissement de la peine capitale. Ce d’autant plus que dans l’esprit des autorités d’Ankara, celle-ci devrait s’appliquer en premier lieu aux putschistes, ou présumés tels, et donc de façon rétroactive.

C’est après le coup d’État raté du 15 juillet, qui a fait 265 morts et 1 440 blessés, que le président turc a remis sur le devant de la scène cette question cristallisant les humeurs d’une opinion publique massivement mobilisée. Accusant Fethullah Gülen, imam septuagénaire réfugié en Pennsylvanie depuis 1999, et sa confrérie islamiste d’être à l’origine de la tentative de coup d’État, les autorités de l’AKP, le parti au pouvoir depuis 2002, dénonçaient les putschistes comme des traîtres et des agents de l’étranger. « Si le peuple veut la peine de mort, les partis suivront sa volonté », a encore répété M. Erdogan dimanche lors de l’immense meeting « pour la démocratie et les martyrs », tenu avec les dirigeants des deux principaux partis de l’opposition.

Gêne en haut lieu

Les envolées du très autoritaire et charismatique président turc sur la peine capitale embarrassent un peu le gouvernement. Le premier ministre lui-même, Binali Yildirim, insiste sur le fait que c’est une demande de l’opinion mais que rien n’a été encore tranché et que le choix final appartient au Parlement. Conscients de la portée symbolique d’une telle décision, les diplomates sont encore plus gênés.

La dernière exécution en Turquie, celle d’un militant d’extrême gauche, Hidir Aslan, avait eu lieu en octobre 1984, dans un pays sous la coupe des militaires qui avaient pris le pouvoir quatre ans plus tôt. L’abolition de la peine de mort en temps de paix avait été votée le 3 août 2002, à l’initiative du gouvernement du vieux leader, depuis décédé, de la gauche souverainiste, Bülent Ecevit, qui était appuyé par l’extrême droite nationaliste. Une grande partie de l’opinion était vent debout contre cette mesure, qui sauvait définitivement la tête du chef des rebelles kurdes du PKK, Abdullah Ocalan, condamné à mort deux ans plus tôt. Ce même jour le Parlement votait un texte autorisant les programmes audiovisuels en langue kurde ainsi que l’enseignement privé du kurde. Ces deux mesures étaient destinées à montrer que la Turquie était prête à engager le processus de réformes pour intégrer l’Union européenne. Pendant ses premières années au pouvoir, l’AKP d’Erdogan accéléra cette mutation.

Un retour en arrière sur la peine de mort serait dévastateur. Chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini a rappelé clairement, le 18 juillet, que personne ne devient un membre de l’UE en réintroduisant la peine de mort, abolie dans tous les pays de l’Union. La Convention européenne des droits de l’homme, l’ensemble des droits fondamentaux que doivent respecter les 47 pays membres du Conseil de l’Europe (les Vingt-Huit mais aussi la Turquie, la Russie, l’Ukraine, les pays du Caucase, etc.), garantit notamment « le droit de toute personne à la vie ». Elle abolit la peine de mort tout en reconnaissant qu’un Etat membre « peut prévoir dans sa législation la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre ».

La décision finale de Recep Tayyip Erdogan sera avant tout politique. Il fait ainsi monter les enchères vis-à-vis des dirigeants européens, qui, malgré la pression croissante de leur opinion publique, veulent éviter d’acter la fin des négociations d’adhésion avec un pays clé sur le plan géostratégique. Même si nul ne se fait guère trop d’illusion, ni à Ankara ni parmi les Vingt-Huit, sur une future intégration de la Turquie dans l’UE.

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