Yannick Agnel, le 7 août, juste avant son élimination en séries du 200 m à Rio. | MARTIN BUREAU / AFP

Ses résultats décevants depuis le début des Jeux ne lui suffisaient pas, alors la natation française y a ajouté mardi l’un des ces psychodrames dont elle a le secret, et qui rythment son existence. C’est le relais 4 x 200 mètres masculin qui a fourni l’épisode du jour, un épisode dans lequel il est question de Yannick Agnel, de trahison, et de jambes rasées à 1 heure du matin. Reprenons dans l’ordre les rebondissements de cette obscure affaire.

Le relais 4 x 200 mètres, avec Jérémy Stravius et Yannick Agnel en figures de proue, avait débarqué à Rio avec l’objectif, plus qu’envisageable, d’accrocher une médaille en finale mardi soir. Avant cela, il faut nager les séries, mardi après-midi, une formalité. Coup de théâtre : on apprend dans la matinée que Yannick Agnel, malade, sera forfait pour les séries. C’est donc Damien Joly – spécialiste du 1500 m (rien à voir avec le 200, n’est-ce pas), dont la finale aura lieu samedi – qui se présente sur le plot à sa place. Il faut réussir l’un des huit meilleurs temps pour entrer en finale. La France se classe 14e (sur 16). Éliminée. Le festival peut commencer.

« Pour crever l’abcès, on a été abandonnés, fulmine calmement Jordan Pothain, le premier relayeur. Depuis trois jours, c’est un peu l’enfer pour les relayeurs du 4 x 200. » Abandonnés ? Mais par qui ? « Yannick. » Agnel, donc. « Clairement, Yannick nous a abandonnés en nous disant qu’il était malade il y a deux jours. Ça a été une grosse claque pour nous. Il n’était pas du tout dans la compétition. Dans ce relais, on a été bernés, il y a eu beaucoup de malhonnêteté. »

Grégory Mallet fond en larmes

Malhonnêteté ? Agnel, qui a sombré sur 200 m en individuel dimanche, jouerait-il au malade imaginaire pour masquer qu’il n’avait en fait simplement pas le niveau pour être à Rio ? « C’est lui qui répondra, poursuit Pothain. J’ai été malade à Londres [en mai dernier], et pas une demi-seconde je n’avais pensé à abandonner le relais, alors qu’on était simplement sur des championnats d’Europe. Là, on est sur l’événement sportif majeur d’une carrière, d’une fin de carrière pour Greg, et on se fait lâcher à quelques heures de cette course, c’est très difficile. »

Greg, à savoir Gregory Mallet, pilier et doyen du 4 x 200 tricolore du haut de ses 32 ans, se tient juste à côté. Ses yeux sont déjà rougis lorsqu’il prend la parole. « Il faut que la France comprenne qu’on donne tout pour ce relais mais qu’on arrive pas. » Il fond en larmes. « Y a rien qui va pour nous. On a tellement de monde qui se donne à fond dans cette équipe… Je suis désolé… » Il s’en va.

Arrive Lorys Bourelly, le troisième relayeur, qui retient sa colère, laquelle transpire de ses mots : « Un relais de ce niveau-là qui n’arrive pas en finale, c’est clairement un gâchis. Mais on était dans dispositions vraiment pas terribles. Hier matin, je devais partir en quatrième position, puis troisième, puis re-quatrième, puis avec Yannick, puis sans Yannick, puis avec Yannick, puis sans Yannick. On a dû aller aider Damien [Joly] à se raser à une heure du matin [tout le corps, par souci d’hydrodynamie]… Construire une performance d’équipe comme ça, c’est pas possible. »

« On n’est pas des pions »

Visiblement, Agnel a tergiversé, et ses hésitations ne passent pas : « Hier [lundi], il disait qu’il ne pouvait pas nager, et ce matin il dit qu’il peut, continue Bourelly. Alors que Damien [Joly], à 2 heures du matin, il était en train de se raser… C’est trop tard. Personnellement, je n’avais plus envie de nager avec lui. On ne dit pas à quelqu’un tu viens, puis tu viens pas, puis tu viens, puis tu viens pas. Non. On n’est pas des pions. On est une équipe. Jordan [Pothain] a nagé avec une mononucléose à Londres. Lui [Agnel], il a rhino-pharyngite… »

En veut-il au probable néo-retraité ? « D’un nageur avec un tel passé, tellement fort… Quand on a quelqu’un de ce niveau-là, on attend autre chose que ce comportement. Il a fait ce qu’il estimait juste, c’est sa façon de voir les choses. Il n’y a plus rien à faire. Le mal est fait. »

Il y a sans doute des choses plus graves, mais la déception des trois relayeurs rescapés – Damien Joly ne s’est pas éternisé devant les médias – est très vive, vu les ambitions que nourrit depuis tant d’années ce 4 x 200, petit frère si souvent malheureux du glorieux 4 x 100, et qui espérait à Rio prendre un peu la lumière.

Qu’en pense la Fédération française de natation ? Jacques Favre, le directeur technique national, soutient qu’Agnel était vraiment malade, qu’il était vraiment dans ses Jeux, et « lance un appel au calme aux athlètes », qui devront « peut-être faire plus de media-training » à l’avenir. « Ces athlètes ont de la peine, même Agnel a de la peine. Mais chacun va garder son calme. On a un problème, on va le régler entre nous », conclut le DTN, qui estime que cette poussée de fièvre est une tempête dans un pédiluve.

Et qu’en pense Yannick Agnel ? On le saura bientôt : il donnera une conférence de presse à ce sujet dans la soirée (21 h 30 à Rio, 2 h 30 en France). Il aurait sans doute préféré partir sur une médaille olympique en relais.