Michael Phelps remporte le titre olympique du 200 m papillon le 9 août à Rio. | GABRIEL BOUYS / AFP

L’image pourrait commence à lasser, elle s’avère de plus en plus sensationnelle : Michael Phelps sur la plus haute marche du podium. L’incroyable Kid de Baltimore a bien fait de sortir de sa retraite en 2014 pour replonger dans les bassins. Le nageur de 31 ans a encore agrandi sa collection de lauriers, mardi soir, dans celui du parc olympique de Barra da Tijuca, en se couvrant d’or une 20e fois, sur le 200 m papillon, puis une 21e, une heure et demie plus tard, avec le relais 4 × 200 mètres américain. Ce qui le place encore plus haut au sommet de la hiérarchie des athlètes les plus titrés aux JO, très loin devant sa dauphine, la gymnaste Larissa Latynina qui avait glané neuf médailles d’or sous les couleurs de l’URSS entre 1956 et 1964.

Michael Phelps est le seul à bénéficier du privilège d’être plus acclamé par la foule brésilienne que les nageurs locaux.

La 19e, c’était dimanche, lors du relais 4 × 100, au grand dam des Français. Les dix-huit d’avant se répartissent sur les trois éditions précédentes des Jeux : Athènes en 2004 (6), Pékin en 2008 (8) et Londres en 2012 (4). Si l’on ajoute à celles en or les deux en bronze d’Athènes et les deux en argent de Londres, les récompenses olympiques du nageur américain, par ailleurs 26 fois champion du monde, sont désormais au nombre de 25. Vertigineux. « L’autre jour, racontait-il à l’issue de sa folle soirée, je discutais avec Bob Bowman [son entraîneur] et je me suis dit : Ça fait un sacré ­paquet de médailles ! On a quand même beaucoup de médailles. C’est de la folie. »

Le mot pourrait aussi décrire l’état dans lequel les prouesses du dieu du stade aquatique ont plongé le public de la curieuse arène où se déroulent les épreuves de natation à Rio, une enceinte neuve qui semble pourtant déjà vétuste à l’intérieur, mais qui a le bon goût d’être enveloppée d’une toile dont l’élégant motif n’est pas sans évoquer les grandes vagues de l’artiste japonais Hokusai.

Eclats de rire nerveux

C’est bien simple : Michael Phelps est le seul à bénéficier du privilège d’être plus acclamé par la foule brésilienne que les nageurs locaux lorsqu’il entre en piste – certes, les spectateurs américains sont nombreux à Rio de Janeiro – selon un rituel désormais fameux. Le speaker prononce son nom, l’assemblée s’époumone, Phelps déboule, interminable doudoune sur le dos, lunettes sur les yeux, bonnet de bain sur la tête, casque audio sur les oreilles, visage fermé, imperturbable.

Il ôte son manteau, secoue ses bras ballants pour détendre ses biceps qui remuent comme de la gélatine, puis grimpe sur son plot et entame son haka : dans une contorsion ahurissante, il penche son buste en avant à quatre-vingt-dix degrés, mains jointes dans le dos, et tend ainsi ses bras vers le ciel, avant de les laisser retomber d’un coup pour les envoyer s’enrouler autour de lui et, dans un bruit de claquement de fouet frapper sa peau constellée de ces étranges taches rouges – dues au « cupping », traitement thérapeutique censée accélérer la guérison des muscles endoloris. La course peut alors commencer. Phelps va gagner.

Mardi, il s’en est fallu de peu. Parti comme un dératé sur la première longueur du 200 m papillon, l’Américain a passé les trois suivantes à résister au retour du Japonais Masato Sakai, venu mourir à quatre centièmes d’une victoire qui aurait sans doute désolé la foule (1 min 53 s 40 contre 1 min 53 s 36), et brisé le moral de son héros : il y a quatre ans à Londres, dans une course au scénario identique, Phelps s’était finalement incliné pour cinq centièmes face au Sud-Africain Chad Le Clos.

« Les dix derniers mètres n’ont pas été rigolos, mon dieu, j’avais l’impression d’être immobile, pouvait donc souffler le prodige. Je voulais tellement l’avoir à nouveau, cette médaille. » Lorsqu’il avait décidé de renfiler son maillot pour s’entraîner il y a deux ans, expliquait-il ensuite, il avait confié à son entraîneur qu’il « voulait plus que tout ce 200 m papillon », sa course de prédilection. La satisfaction était visible sur son visage mardi lorsque, après avoir achevé la reconquête, Phelps s’est assis sur le serpentin en plastique séparant les deux lignes centrales du bassin, a ôté lunettes et bonnet, puis s’est mis à haranguer le public qui avait déjà mis le volume au maximum.

Michael Phelps lors du 4 x 200 m nage libre le 9 août à Rio. | GABRIEL BOUYS / AFP

Trois quarts d’heure plus tard, il grimpait sur le podium pour se faire passer la médaille au cou, entonner, les larmes aux yeux, un Star-Spangled Banner entrecoupé d’immenses éclats de rire nerveux, puis se hisser sereinement, au milieu de la meute de photographes, vers la tribune où sont installés ses proches pour aller embrasser sa mère – un autre rituel – et son fils, Boomer – une nouveauté, car Phelps est devenu papa en mai.

Conclure le relais 4 x 200, propriété des Américains depuis 2004, n’allait être qu’une formalité, même si « ce doublé était l’un des plus compliqués de [sa] carrière. Réussir un doublé comme ça est beaucoup plus dur que ça ne l’était ». C’est que Michael Phelps a désormais 31 ans, et plus tout à fait la même résistance que celui qui réalisait l’octuplé à Pékin.

En septembre 2014, il admettait un problème d’alcoolisme, envahi par des pensées suicidaires.

A-t-il trouvé un supplément d’âme dans les épreuves traversées ces derniers mois ? En septembre 2014, arrêté en état d’ivresse au volant, il admettait un problème d’alcoolisme, et aller se retrouver en cure de désintoxication, envahi par des pensées suicidaires. Ses tourments se sont apaisés, parallèlement à une réconciliation largement médiatisée avec un père qu’il n’avait pas vu pendant sa jeunesse. La vie semble à nouveau douce pour le phénomène des bassins, qui nagera encore le 200 m 4 nages jeudi, le 100 m papillon vendredi, et le relais 4 x 100 m 4 nages samedi, lors du bouquet final de la semaine de natation olympique. Trois nouvelles médailles d’or lui tendent les bras. Michael Phelps n’a pas encore tout à fait fini d’écrire sa légende.