Joanna Maranhao. | MARTIN BUREAU / AFP

Elle a promis de venir les chercher un par un, de démasquer les poltrons cachés derrière leur écran et de les traîner en justice. La nageuse brésilienne Joanna Maranhao a pleuré après sa défaite, mardi 9 août. De rage.

Elle est arrivée quinzième aux épreuves de qualifications du 400 m quatre nages samedi, et a été éliminée du 200 m papillon. Celle que le journal Libération a surnommé la « rebelle des bassins » a alors poussé un grand coup de gueule contre le Brésil. Ce pays « homophobe, xénophobe, raciste ».

« Je ne suis pas en train de généraliser mais il y a des personnes comme ça, et quand elles sont derrière un ordinateur elles se donnent le droit d’agir ainsi, a déclaré la nageuse dans un sanglot. Tout le monde a le droit de ne pas être d’accord avec mes positions politiques, mais ma formation et mon histoire font que j’ai eu besoin de me positionner politiquement (…). Mais souhaiter que je sois violée, que ma mère meure, célébrer le fait que je ne sois pas en demi-finales, c’est de la lâcheté, un manque de caractère. »

A 29 ans, l’athlète originaire de Recife, capitale de l’Etat du Pernambouc, en a gros sur le cœur. Insultée sur sa page Facebook, elle a perdu le sommeil lundi en lisant les commentaires de ses supposés fans. Cela n’a pas été à l’origine de sa contre-performance, dit-elle, mais cela l’a choquée. « Je ne suis pas une superwoman. »

« Souhaiter que je sois violée, que ma mère meure, célébrer le fait que je ne sois pas en demi-finales, c’est de la lâcheté, un manque de caractère. »

Brillante, Joanna Maranhao a participé à quatre Jeux olympiques, sans jamais décrocher de médaille. Arrivée cinquième aux Jeux d’Athènes en 2004, à 17 ans, elle nourrit alors tous les espoirs. Mais la jeune femme a des bleus à l’âme. En 2008, elle affronte ses démons et confie avoir été violée à l’âge de 9 ans par son entraîneur de l’époque. En 2012, l’entrée en vigueur de la « loi Joanna Maranhao » salue son courage. Le texte rallonge le délai de prescription des crimes de pédophilie qui ne commence à courir qu’après les 18 ans de la victime.

Soutien de Dilma Rousseff

Politiquement à gauche, la Nordestine n’a jamais caché son soutien envers la présidente Dilma Rousseff du parti des travailleurs (PT, gauche) éloignée du pouvoir suite à l’ouverture, en mai, d’une procédure d’impeachment (destitution) ni son opposition envers le texte défendu par les ultra-conservateurs, de réduire la majorité pénale à 16 ans.

Fragile et rebelle, la nageuse passe par des hauts et des bas. Deux tentatives de suicide, des entraînements interrompus…, elle revient au sommet et se félicite, le 6 août sur sa page Facebook, de nager plus vite à 29 ans qu’à 17. C’est sur cette même page que se déchaînent pendant plusieurs jours ses détracteurs.

Les internautes réclamant la victoire à l’élection présidentielle de 2018 de Jair Bolsonaro, député connu pour ses positions homophobes, machistes et son apologie de la dictature militaire, y sont particulièrement agressifs. Ils la traitent tantôt de « loseuse », tantôt de « communiste ».

En 2015, la nageuse expliqua lors des Jeux panaméricains qu’elle défendrait le pays, mais qu’elle ne représenterait pas ceux qui applaudissent Marco Feliciano, Jair Bolsonaro, Eduardo Cunha ou Silas Malafaia, des hommes politiques brésiliens à tendance réactionnaire. « Ce n’est pas vous que je représente. Votre soutien, je ne tiens pas à l’avoir », lâcha-t-elle.

Cruauté débridée

Les mêmes se félicitent désormais de ce choix, avec une cruauté débridée que les réseaux sociaux savent déchaîner. « Grâce à Dieu que vous ne nous représentiez pas. On ne tient absolument pas à être représenté par une personne comme vous qui défend les bons à rien. Nous avons de vrais athlètes, honorés de nous représenter, les athlètes militaires, par exemple », explique un supporteur de Bolsonaro. « Entraîne-toi plus et parle moins. Perdante », lui conseille un autre. « Tu me fais vomir », lit-on encore entre deux « Kkkkk », traduction brésilienne du ricanement entrecoupé de quelques « Tchau querida » (« Salut chérie »), slogan lancé contre Dilma Rousseff lors des manifestations en faveur de l’impeachment.

Joanna Maranhao, en 2010. | RODRIGO ARANGUA / AFP

En prenant la parole, Joanna entend défendre son honneur mais aussi celui de tous les athlètes brésiliens, pour lesquels le public manque parfois de respect. Et la nageuse de citer l’exemple de Rafaela Silva, la judoka encensée pour sa médaille d’or remportée lundi dans la catégorie des moins de 57 kg : l’enfant des favelas, noire, fut insultée après sa défaite à Londres en 2012, rappelle-t-elle. « Je me souviens quand les gars l’appelaient “le singe’’, et quatre ans plus tard elle devient une héroïne. Mais elle était déjà une héroïne », explique Joanna Maranhao.

Selon le site d’Universo Online, le délit d’injure sur Internet peut être puni d’un à six mois de prison – voire jusqu’à trois ans s’il est question d’insultes racistes ou ethniques. La sanction financière peut, elle, se chiffrer à 2 000 reais (571 euros) par internaute.

La nageuse a promis que les sommes récoltées par son action en justice alimenteraient son ONG Infancia livre (« Enfance libre »), qui lutte contre la pédophilie.