Devant cette écurie de Bois-le-Roi, à moins d’une heure de Paris, on ne sait pas qui regarder, le cheval ou le cavalier. Leurs visages sont côte à côte, comme de vieux amis. Etalon star à la personnalité hors norme, très souple, Quickly de Kreisker, est un mâle bai. Doux au paddock, il se transforme lors des épreuves, impérieux du haut de son 1,65 mètre de beauté rurale.

On l’imaginait plus imposant, mais il est fin, avec une belle robe brune. Tranquillement installé dans son box, le cavalier le caresse avec calme. On le pensait aussi plus grand.

Lui, c’est Abdelkebir Ouaddar, que tout le monde surnomme Kébir. A 53 ans, il est la sensation du royaume aux Jeux olympiques. Kébir est aussi un ami du roi Mohammed VI. « Ils ont le même âge et partagent la passion des chevaux, depuis l’enfance. Mais le roi est aussi le patron de Kébir. Sans le soutien [de Mohammed VI], il n’aurait pas pu réaliser un tel parcours. Il lui est reconnaissant mais il est pudique sur cet aspect », confie un proche de la famille.

Elevé au palais royal

Sous son aspect entier, spontané, le cavalier est porteur d’une histoire inattendue. Kébir découvre l’équitation à l’âge de 8 ans, quand une princesse de sang royal le prend sous son aile. Originaire de Aït Ourir, un petit village situé dans la région de Marrakech, il est fils de puisatier. Sa mère, Khadija, s’occupe des cinq enfants. « Je suis attaché à mon village natal. J’aime m’y ressourcer pour ne pas oublier d’où je viens », dit-il avec un sourire. Regard droit, traits fins, jovial, Ouaddar est un charmeur.

Un jour qu’il joue au football de rue, Kébir tape dans l’œil de la princesse Lalla Fatima-Zohra, une sœur d’Hassan II, de passage au village. « J’avais l’habitude de jouer avec ses petits, Moulay Abdallah [actuel président de la Fédération royale marocaine d’équitation], Moulay Youssef et Lalla Joumala [ambassadrice du royaume à Londres, en partance pour Washington], se souvient le cavalier. Elle a proposé à mes parents de m’élever aux côtés de ses enfants. Ma mère a d’abord décliné, mais mon père s’est dit que c’était une chance inespérée. »

A dix ans, la princesse Lalla Amina, sœur d’Hassan II et présidente de la Fédération royale marocaine des sports équestres, le met en selle. De tradition, la famille royale est très impliquée dans le monde équestre. D’emblée, il se passionne pour le saut d’obstacles et enchaîne les stages de préparation. Le cavalier brille au Maroc (six titres nationaux) mais peine à atteindre le niveau international. Hormis trois participations aux Jeux méditerranéens (1997, 2005 et 2009), il fait du surplace. Jusqu’à sa rencontre avec son actuel entraîneur, Marcel Rozier, médaillé olympique en 1968 et en 1976, et ancien entraîneur de l’équipe de France.

Coach Rozier

« 53 ans, c’est un peu tard. C’est même un exploit. A 30 ans, c’est plus facile. Kébir y est arrivé à force de travail. Depuis quatre ans, il bosse vraiment dur », mesure Rozier, qui est un familier de la cour royale, depuis son retour des Jeux de Montréal. Cousin de Mohammed VI, le prince Moulay Hicham évoque le coach dans son Journal d’un prince banni (Grasset, 2014), à propos de sa passion pour l’équitation, qu’il a partagé avec Mohammed VI :

« Plus tard, à partir de 1976, quand j’aurais douze ans, je suivrais chaque été un stage de perfectionnement avec l’équipe de France d’équitation. Je logerais à Fontainebleau, le stage se déroulant tout près, à Bois-le-Roi. Marcel Rozier, double champion olympique, et plusieurs fois champion de France et entraîneur de l’équipe de France, dirige nos entraînements. Ce seront des parenthèses merveilleuses, des moments où je respire librement. »

Mohammed VI, proche de ses cousins Moulay Abdellah et Moulay Youssef, suit la progression de Ouaddar. C’est lui qui demande à Marcel Rozier de l’accompagner vers le niveau mondial, en le finançant entièrement. Fin 2012, le roi du Maroc achète Quickly de Kreisker, qui devient la monture de Kébir. « On sent énormément de respect, d’estime et d’amitié entre Ouaddar et Sa Majesté. Kébir lui est très reconnaissant, précise Marcel Rozier. Sa Majesté l’invite dans son château de Betz, quand il est de passage en France. »

A l’Espace Rozier, une trentaine de jeunes cavaliers du royaume s’entraînent actuellement. Ils sont appelés à former la relève, emmenée par Philippe Rozier, fils de Marcel et entraîneur de l’équipe nationale du Maroc. Tous sont fiers de Kébir. « C’est un cavalier fort sympathique », abonde Jean-Louis Gouraud. Cet éditeur et essayiste spécialiste du cheval - Prix Renaudot-poche en 2013 pour Le Pérégrin émerveillé (Babel/Actes Sud) - connaît le tout-Rabat du cheval ne tarit pas d’éloges sur Ouaddar : « Tout chez lui, respire l’ouverture aux autres. Ce qui frappe aussi, c’est sa modestie. Il a une forte complicité avec son cheval. C’est un acharné de travail. »

Espoir de médaille

« Lorsque Kébir et Porche Du Fruitier gagnaient, il n’y avait ni drapeau ni hymne, le Maroc était absent au haut niveau. Les gens disaient que nos succès ne dureraient pas », se souvient Marcel. Quickly, a le don de remporter des victoires à la dernière minute d’un concours, grâce à son incroyable vitesse. Ce qui lui a valu d’arracher, à la surprise générale, la victoire lors du Saut Hermès le 20 mars dernier.

Si le parcours olympique est d’une technicité exceptionnelle, Ouaddar, sera confronté le 14 août, aux meilleurs cavaliers du monde, prêts à se surpasser. Dès lors, « décrocher une médaille sera très difficile, mais pas impossible ». Ses compétences et sa personnalité lui ont valu d’être nommé porte-drapeau du Maroc.

C’est ainsi sur le frêle cavalier que reposent tous les espoirs marocains de médaille olympique. « C’est une première, s’enthousiasme, Rachid Nahli, journaliste sportif à Atlantic radio, basée à Casablanca. D’habitude, le Maroc s’illustre aux JO en athlétisme ou dans les sports de combat. Si ce cavalier pouvait nous ramener une médaille de bronze ou d’argent, ce serait le top ! »

Par Fouzia Marouf, contributrice Le Monde Afrique, envoyée spéciale à Bois-le-Roi