Doumbouya Camara avec Amatou, Fanta et Bintou, ses triplés. | Matteo Maillard

Doumbouya Camara est une madone. Tête penchée, regard consolant, elle berce ses nouveau-nés, des triplés qui pleurent. « Ils ont faim », souffle-t-elle. Elle aussi mais ne le dira pas. A notre arrivée, elle a repoussé discrètement un plat et quelques miettes au coin du lit. Ses traits sont un peu émaciés. « Elle n’a pas d’argent pour payer les repas, alors les autres patients lui laissent des restes dans leurs assiettes », confie le docteur Camara Nanaba, cheffe du Centre de récupération et d’éducation nutritionnelle intensif (Creni) de l’hôpital préfectoral de Siguiri, au nord-est de la Guinée.

Si la mère de 27 ans patiente dans ce centre de traitement depuis neuf jours, c’est parce que ses triplés de 9 mois sont atteints de malnutrition sévère. Elle ne sait pas comment c’est arrivé. Peut-être une infection respiratoire virale, car ils toussaient abondamment et le sirop n’y changeait rien. Sont venues ensuite les diarrhées. Amatou, Fanta et Bintou, les triplés, refusaient de téter. « Ils maigrissaient à vue d’œil », explique Doumbouya. Au centre de santé de Bougourou, village où elle habite, personne n’a pu l’aider, faute d’équipements appropriés. Ils l’ont envoyée à 50 km de chez elle, à Siguiri, chef-lieu de la préfecture et seule ville à posséder un Creni. Pour payer son ticket de bus, elle a dû emprunter 50 000 francs guinéens (5 euros).

Amatou, Fanta et Bintou, les triplés de Doumbouya atteints de malnutrition. | Matteo Maillard

« A leur arrivée, nous avons immédiatement commencé le traitement avec du lait F100, se remémore le Dr Nanaba. Un lait thérapeutique enrichi avec des vitamines, du sodium, du calcium, que fabrique l’entreprise française Nutriset. Ce lait permet de débuter la guérison et rétablir un équilibre nutritionnel chez les enfants victimes de malnutrition. » Mais ses triplés ne sont pas encore guéris que Doumbouya veut déjà rentrer chez elle. « Elle a des difficultés à assumer simultanément le coût des soins et de la nourriture, poursuit le docteur. Elle veut pouvoir reprendre ses activités au plus vite afin de retrouver une stabilité financière ».

Deux frères récupèrent au Creni de l’hôpital préfectoral de Siguiri. | Matteo Maillard

Comme de nombreux habitants de la région, Doumbouya est orpailleuse. Elle travaille dans la mine aurifère de Komondon où elle tamise la boue pour révéler le métal précieux. Une tradition dans sa famille. Rarement scolarisés, les enfants de mineurs suivent leurs parents dans les carrières et passent la journée à respirer vapeurs toxiques et poussières corrosives. Explication du docteur Nanaba :

« Dans l’atmosphère nocive des mines, les plus jeunes développent rapidement des infections pulmonaires comme des pneumonies. Elles sont souvent suivies de complications : perte de l’appétit, vomissements, diarrhées ou œdèmes et débouchent sur une malnutrition. Nous recevons deux à trois cas chaque semaine. »

Dans un lit voisin, trois autres triplés attendent leur lait. Emmaillotés dans des pyjamas verts, ils dorment les poings serrés. Ils n’ont que trois jours et sont atteints d’une infection néonatale. Leur mère est décédée suite à une césarienne. Elle avait 35 ans. Collapsus cardio-vasculaire et anémie, « les grandes multipares sont particulièrement à risque, dit le docteur. C’était sa dixième grossesse. »

Trois orphelins au Centre de récupération et d’éducation nutritionnelle intensif (Creni) de l’hôpital préfectoral de Siguiri, au nord-est de la Guinée | Matteo Maillard

Doumbouya admet connaître les risques. Elle en est à sa sixième grossesse et souhaite avoir encore deux enfants. Ils l’accompagneront sans doute à la mine, comme les précédents. « C’est notre vie, dit-elle. Toute ma famille travaille dans les carrières depuis des générations. Je n’ai pas d’autre choix. »

Seule sa belle-mère a emploi différent. Elle cultive le riz et l’arachide au lieu de chercher de l’or. C’est elle qui a accompagné Doumbouya depuis Bougourou, car son mari n’est pas venu. Il fouille la terre à la recherche d’une pépite qui mettra la famille à l’abri du besoin. Les autres enfants, c’est la belle-sœur qui s’en occupe pendant que maman est à l’hôpital. Doumbouya trépigne, elle veut rentrer. Mais comment faire pour payer le voyage du retour ? « Nous demanderons à mon autre fils de nous envoyer de l’argent », rassure la belle-mère. A Siguiri, propre ou sale, le linge se lave en famille.