La base d’Incirlik, en Turquie, le 28 juillet 2015. AFP PHOTO / STR | STR / AFP

Stocker des armes nucléaires américaines en Turquie revient-il à jouer « à la roulette russe » ? C’est ce que redoute un rapport du groupe de réflexion apolitique Stimson Center, publié lundi 15 août. « D’un point de vue sécuritaire, stocker approximativement cinquante armes nucléaires américaines sur la base aérienne d’Incirlik revient à jouer à la roulette russe », s’insurge la co-auteure du rapport, Laicie Heeley.

Le texte met en garde contre le risque que les armes stockées sur la base aérienne d’Incirlik en Turquie, à 110 km de la frontière syrienne, ne tombent entre les mains de « terroristes ou d’autres forces hostiles ». La sûreté de cet arsenal était décriée de longue date, mais le putsch avorté du 15 juillet en Turquie a relancé les craintes. « Il est impossible de savoir si les Etats-Unis auraient pu maintenir le contrôle sur les armes en cas de guerre civile prolongée en Turquie », s’inquiète le Stimson Center.

En mars, le Pentagone avait ordonné, pour raisons de sécurité, l’évacuation des familles de militaires et du personnel civil stationnés dans le sud de la Turquie. Le commandant turc de la base, le général Bekir Ercan Van, a par ailleurs été arrêté le 16 juillet, soupçonné d’avoir ravitaillé les avions des putschistes la nuit du coup d’Etat.

« Il y a des garde-fous importants (…) mais ce ne sont que des dispositifs de protection, cela n’élimine pas le risque. Dans le cas d’un coup d’Etat, on ne peut pas dire avec certitude que nous aurions été capables de garder le contrôle », explique Laicie Heeley.

La base aérienne d’Incirlik représente un enjeu stratégique pour la coalition contre le groupe Etat islamique conduite par Washington, car elle offre un accès rapide aux cibles visées en Irak et en Syrie. Les armes nucléaires seraient avant tout conservées sur la base turque comme un moyen de dissuasion face à la Russie, ainsi que pour démontrer l’engagement américain au sein de l’OTAN, dont la Turquie est membre historique.

Débat aux Etats-Unis

Depuis le putsch raté du 15 juillet, le débat sur ces armes fait rage aux Etats-Unis. Steve Andreasen, ancien directeur de la défense et du contrôle des armes au Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche, a déclaré dans le Los Angeles Times : « Bien que nous ayons évité la catastrophe jusqu’ici, nous avons de nombreuses preuves que la sécurité des armes américaines stockées en Turquie peut changer littéralement du jour au lendemain ».

D’autres experts se veulent plus rassurants. Kori Schake, de l’institution Hoover, un think tank proche du Parti républicain, a relevé dans le New York Times que ces armes « ne peuvent pas être utilisées sans codes, les rendant impossible à activer sans autorisation ». « Le fait que les armes nucléaires sont stationnées en Turquie ne les rend pas vulnérables (…), même si le pays en venait à être hostile envers les Etats-Unis », a-t-elle souligné.

Interrogé sur les conclusions du rapport du Stimson Center, le Pentagone n’a pas souhaité répondre. « Nous n’évoquons pas la localisation d’avoirs stratégiques », a déclaré la défense américaine, précisant avoir pris « les mesures appropriées » pour assurer la sécurité de son personnel et de ses « installations ».

Les inquiétudes concernant Incirlik faisaient partie d’un chapitre plus large du rapport sur le programme de modernisation nucléaire du Pentagone, pour lequel Washington va débourser plusieurs milliards de dollars pour mettre à jour son arsenal.