Rio 2016. | ROBERTO SCHMIDT / AFP

Vous le reconnaissez peut-être, cet homme, au bord du terrain, assis sur le banc de l’équipe de France. Il était au même endroit, à Londres, il y a quatre ans. Il était là à Pékin aussi, d’ailleurs. A Athènes, en 2004, également, déjà. Et à Sydney, quatre ans plus tôt ? Ah bah oui, tiens, pareil. Pour la cinquième fois de sa vie, Olivier Krumbholz vivra, mardi 16 août dans l’après-midi, face à l’Espagne, un quart de finale olympique à la tête de l’équipe de France féminine (18 h 30).

Le handball est un sport où les sélectionneurs ont le bonheur d’avoir plus de deux ans pour façonner leur équipe, et de ne pas servir de fusible au premier accroc – Claude Onesta s’occupe des garçons depuis quinze ans, et avant lui, Daniel Costantini en avait duré seize. Olivier Krumbholz, lui, est arrivé à la tête des Bleues en 1998. Mais il en avait été écarté avec fracas en 2013, et dans un monde sans imprévu, il n’aurait pas été du voyage à Rio.

« C’est vrai que c’est cocasse, on ne pensait pas revenir. » Dans la bouche de l’entraîneur, « on » signifie lui et son staff, qui ont repris les rênes de l’équipe de France en début d’année. On ne sait en revanche pas ce que signifie « cocasse », les circonstances de son retour n’ayant pas fait rire grand-monde. Si Olivier Krumbholz est revenu, c’est qu’Alain Portes est parti. Tel un sélectionneur de football, celui-ci n’a tenu que deux ans (2013-2015). Mais il n’a pas été sacrifié pour un simple accroc.

Portes avait dû s’en aller après un psychodrame dont on n’a toujours pas compris l’intégralité des tenants et des aboutissants. Tout au plus sait-on qu’il s’agissait d’histoires personnelles entre lui, certaines joueuses, et des membres du staff. Et que Portes s’est dit victime d’une « campagne de déstabilisation » à travers les réseaux sociaux, le dépôt de courriers anonymes dans sa boîte aux lettres, ou le vol de son téléphone portable dans le vestiaire. La vie entre lui et ses joueuses était manifestement devenue impossible, comme le résumait le communiqué d’adieu : « Les conditions de confiance mutuelle indispensables à la réussite de l’équipe de France ne sont plus réunies. »

D’importantes blessures enfouies

« Ça a été une période un peu compliquée, un peu surréaliste, se souvient Philippe Bana, le directeur technique national. On a constaté qu’il y avait une rupture, donc on a cherché la meilleure solution possible. » Il n’y en avait pas trente-six, et Bana a dû rappeler en catastrophe celui qu’il avait choisi de démettre brutalement de ses fonctions deux ans plus tôt. « C’est vrai que c’était la solution la plus simple, on en est conscients, admet Krumbholz, mais on n’a pas d’orgueil par rapport à cette histoire. Les sentiments négatifs, on s’en fout. »

A son retour, souhaité par les joueuses, le « de nouveau » sélectionneur constate que le conflit avec son successeur-prédécesseur a laissé des traces profondes au sein d’une équipe fissurée. « Il y avait des blessures, et des blessures importantes, qui étaient un peu enfouies. » Comprendre : des dissensions au sein du groupe. « Donc il a fallu travailler. Elles ont travaillé sur elles, on a aussi travaillé avec quelqu’un, et on continue de travailler avec quelqu’un, sur le plan individuel et aussi collectif. Je pense que les jours sombres sont plutôt derrière, et aujourd’hui, on a bon espoir d’avoir un petit plus. »

Siraba Dembélé devant Allison Pineau, le 14 août à Rio. | ROBERTO SCHMIDT / AFP

L’ailière Siraba Dembélé, qui a vécu la tempête de l’intérieur, affirme que l’équipe est sortie plus solide de l’énorme pataquès créé en interne pas le cas Portes, et sur lequel il est difficile d’obtenir des détails : « C’est quelque chose qui nous a renforcées. Evidemment, ça fait partie de notre histoire, c’est toujours là, ça plane toujours au-dessus de nous, mais on essaie de ne pas trop y penser, et voilà quoi. »

« Une énergie de rage »

Changer d’entraîneur à six mois des Jeux, l’initiative pouvait paraître bien hasardeuse. Le niveau de jeu et l’état d’esprit affichés lors du premier tour des tricolores l’a déjà validée : seconde place après quatre victoires en cinq matchs contre des adversaires costauds (Pays-Bas, Suède, Corée du Sud) et une seule courte défaite face à la Russie.

Et si cette affaire avait été un mal pour un bien, permettant à une équipe qui n’a jamais connu de podium olympique, et qui n’a plus remporté de médaille dans un grand championnat depuis 2011, de repartir sur de bons rails ? « En voyant arriver le conflit à l’époque, se souvient Philippe Bana, je m’étais dit : “C’est une des manières d’avoir cette putain de médaille qu’on n’a jamais eue.” Douillet disait toujours : “J’ai gagné parce que j’ai saigné.” Ou un truc comme ça. »

« L’équipe s’est bien relevée, assure-t-il. Je suis persuadé depuis le début que cette douleur a accouché d’une énergie. Cette équipe s’est recréé une énergie de rage, une énergie bâtie sur du négatif. Elles en ont trop chié pour ne pas en faire quelque chose. Alors, c’est à double tranchant. Ça ne sera pas moyen. Ça sera soit un écroulement soit une médaille. » « Je sais ce que c’est que le désespoir quand on revient sans médaille, et je n’aurais pas retenté l’aventure si j’étais pas persuadé qu’il y a un chemin », poursuit Krumbholz, qui n’a sans doute pas oublié qu’il y en avait déjà un il y a quatre ans à Londres. Et à Pékin aussi. Et à Athènes auparavant. Et même à Sydney.

Pas tout à fait Sydney 2000, mais pas loin : Lillehammer 1999. | THOMAS COEX / AFP