Michaël d’Almeida avant son premier tour du keirin, le 16 août à Rio. | ODD ANDERSEN / AFP

A l’instar de son directeur technique national, Vincent Jacquet, le cyclisme sur piste français « ne crache pas sur cette médaille de bronze ». Elle lui permet d’avoir trois médailles (c’était en vitesse par équipes) à brandir sous le nez de ceux qui parlent d’un « crash » de la piste française à Rio. Elle ne sauve pas la face pour autant, et, comme l’escrime il y a quatre ans ou le judo il y a douze ans, ce sport traditionnellement pourvoyeur de médailles aux Jeux se prépare à une édition mitigée. Seize ans sans titre pour la piste française : la remise en question aurait dû avoir lieu depuis longtemps.

Vincent Jacquet, arrivé il y a deux ans et demi en provenance du ski nordique, a découvert que dans le cyclisme sur piste français les sprinteurs faisaient la loi. Il n’a pas réussi à instaurer la discipline qu’il souhaitait, et les mauvaises humeurs de ces derniers mois n’ont d’autre origine que le pouvoir pris par Grégory Baugé notamment – les neuf titres de champion du monde aident un peu – dans la piste française.

Baugé et Michaël d’Almeida, dont un dernier relais puissant a sauvé l’honneur de la vitesse par équipes, ont ouvertement critiqué le choix de sélectionner François Pervis pour courir avec eux plutôt que leur ami et partenaire ces dernières années, Kévin Sireau. D’Almeida s’en est ensuite pris à l’entraîneur national du sprint, Franck Durivaux. « Moi, je dis plus rien », dit-il dans un sourire mardi à l’issue d’un honorable parcours en keirin (huitième), après s’être vu reprocher d’avoir lavé en public le linge sale du sprint français.

Les sprinteurs français sont-ils ingérables ? Réponse du DTN : « Ils ont été difficilement gérables. C’est compliqué tous les jours. L’olympiade a été faite de clashs réguliers. On n’a pas travaillé dans la sérénité. » Les coureurs, eux, avancent que les personnes censées les gérer n’étaient pas les bonnes.

« C’est toujours “oui, mais”, “oui, mais” »

L’entraîneur néo-zélandais Justin Grace n’est resté que quelques mois, avant d’aller faire le bonheur de la fédération d’outre-Manche, British Cycling : les sprinteurs britanniques ont, à Rio, remporté sept médailles, dont trois en or, sur cinq épreuves. C’est ensuite Franck Durivaux, entraîneur national du sprint, qui n’a pas été du voyage au Brésil car rejeté par Grégory Baugé et Michaël d’Almeida, les deux piliers de la vitesse par équipe.

Laurent Gané, ancien champion olympique, a débarqué dans ce groupe avec l’envie de bien faire. Il a vite compris qu’il passerait des moments compliqués. Exténué, il retournera après les Jeux sur son île de Nouvelle-Calédonie, tout en continuant de travailler pour la fédération.

La composition de la vitesse par équipe, principale pomme de discorde – Baugé et d’Almeida souhaitaient courir avec leur ami Kévin Sireau et reformer le même trio qu’à Londres, plutôt qu’avec François Pervis –, a été discutée jusqu’au dernier moment… alors qu’elle était fixée depuis cinq mois. « C’est toujours “oui, mais”, “oui, mais” », s’énerve Vincent Jacquet, qui rêve d’ordre. Il reconnaît un problème « de leadership, de management ». Il plaide le manque de temps, lui qui a pris ses fonctions il y a deux ans et demi : « Arriver en cours d’olympiade, c’est subir. Recommencer une olympiade, c’est prendre les rênes et mettre l’ensemble de l’équipe en ordre de bataille. »

Michaël D’Almeida a fini huitième du keirin, éliminé en demi-finales. | ODD ANDERSEN / AFP

Quelle relève ?

De nouveaux entraîneurs seront nommés à l’automne. Avec quels sprinteurs sous leurs ordres ? Le DTN « ne désespère pas » que les athlètes présents à Rio, au premier rang desquels Grégory Beaugé, se fassent passeurs de relais. Le plus jeune est D’Almeida, 28 ans. Vincent Jacquet semble décidé à tourner cette page.

Chez les femmes, Sandie Clair et Virginie Cueff, décevantes à Rio, ne paraissent plus à 28 ans non plus des options d’avenir. La relève est incarnée par Mathilde Gros, 17 ans, venue récemment du basket et déjà double championne d’Europe juniors cette année. Chez les hommes, Melvin Landerneau et Sébastien Vigier sont annoncés comme des talents, ainsi que Thomas Copponi, champion d’Europe espoirs du keirin. Quentin Lafargue, 25 ans, est coincé entre ces deux générations mais peine à confirmer au niveau mondial les espoirs qu’il suscitait plus jeune.

Le DTN compte aligner rapidement la relève chez les seniors : « Il ne faut pas avoir peur d’avoir des contre-performances, de tester des jeunes et de les mettre dans le grand bain. La course à la médaille fait qu’à un moment donné, on met nos valeurs sûres, on ne risque pas. Maintenant, il faut tenter. »

« Merde, les JO c’est dans deux mois »

Ces quatre années n’ont pas non plus fait avancer le secteur de l’endurance, en jachère depuis vingt ans en France. Thomas Boudat, obligé de payer lui-même le surclassement en classe affaires cet hiver pour aller chercher sa qualification olympique de l’omnium en Amérique du Sud et en Asie cet hiver, est lassé de la piste. Il va se concentrer sur sa carrière sur route. Pour Tokyo, « il ne faut pas qu’on s’y prenne au dernier moment, qu’on ne se dise pas : “Merde, les JO c’est dans deux mois.” Les Jeux se préparent dès ce soir et j’espère que tout le monde en est conscient », prévient le coureur d’Europcar, cinquième à Rio. Laurie Berthon, 25 ans la semaine prochaine, a échoué à la 12è place de l’omnium féminin mais était médaillée d’argent aux championnats du monde en mars.

« Sur l’omnium, je ne vois pas ce que je peux faire de plus », se défend Vincent Jacquet, visiblement pas satisfait du profil de ses deux spécialistes de Rio. « L’omnium demande à avoir un vrai moteur, des watts à développer. On devra fixer le profil de notre omniumeuse et l’accompagner sur ces quatre ans. » La France est dotée de jeunes poursuiteurs prometteurs – Benjamin Thomas, Thomas Denis – mais n’a pas les moyens de constituer une véritable équipe qui s’entraîne ensemble quotidiennement, comme les Britanniques.

La Fédération devra ainsi convaincre les équipes sur route d’investir à nouveau sur piste, ce que l’équipe de Jean-René Bernaudeau, avec Bryan Coquard puis Thomas Boudat, a été la seule à faire ces dernières années à petite échelle. Vincent Jacquet n’est, au fond, armé que d’une seule certitude : « Il va falloir que tout le monde se mette au boulot. » Lui le premier.