Les vacances filent en pente douce vers la rentrée. La preuve : les raisons de retourner dans les salles obscures se multiplient. D’abord avec Toni Erdmann, sensation du dernier Festival de Cannes, ensuite avec trois films de genre – zombies, thriller psychologique et invasion extraterrestre – qui maintiennent, par leur énergie, l’ambiance estivale.

LE PÈRE, LA FILLE ET L’ESPRIT DE DÉRISION : « Toni Erdmann », de Maren Ade

Toni Erdmann - Bande Annonce
Durée : 01:27

Il y a autant de manières d’aimer Toni Erdmann que de spectateurs, la preuve, les deux critiques publiées dans Le Monde, d’abord au moment du passage du film en compétition au Festival de Cannes puis ce mercredi 17 août, pour sa sortie en salles. Pour ajouter un grain de sel, voici deux raisons contradictoires et complémentaires d’aller voir le film de la réalisatrice allemande Maren Ade.

Le film a beau être une comédie, il fait preuve d’une rigueur intellectuelle rare, embrassant la trajectoire d’un pays, la géographie d’un continent, avec une sûreté de vision confondante. Winfried/Toni Erdmann incarne la génération de l’après-guerre, celle qui voulait expier et construire. Sa fille, Ines, doit habiter le monde que les baby-boomers lui ont laissé, une Europe unifiée (cette Allemande travaille à Bucarest), un marché mondial (elle œuvre à mettre l’industrie pétrolière roumaine aux normes de l’Union européenne), une géographie lissée (elle fait ses courses dans une de ces galeries marchandes que l’on pourrait trouver aussi bien à Marseille qu’à Dortmund). Face à elle, Winfried tente d’arrêter la machine que sa génération a mise en marche par la seule force de la dérision, de la farce – représentations un peu grotesques d’idéaux qui n’ont plus cours.

Mais Toni Erdmann a beau être un grand film d’idées, c’est aussi une irrésistible comédie sentimentale. Ce dernier adjectif ne doit pas être pris dans son acception péjorative. Simplement, les gags de plus en plus délirants qui scandent le film – ceux-là mêmes qui ont fait se tordre de rire les accrédités cannois – sont le vecteur de sentiments très violents : ceux qui lient – jusqu’à les entraver – le vieux soixante-huitard à sa fille cadre. Et comme la condition filiale est la mieux partagée au monde, chacun retrouvera – transcendée par l’écriture et la mise en scène – une part de sa vérité dans ce film irrésistible. Thomas Sotinel

« Toni Erdmann », film allemand de Maren Ade avec Peter Simonischek, Sandra Hüller (2 h 42).

MORTS-VIVANTS DE PREMIÈRE CLASSE : « Dernier train pour Busan », de Yeon Sang-ho

Dernier train pour Busan - Bande-annonce officielle VOST
Durée : 01:25

Succès colossal en Corée du Sud (« 82,3 % des entrées pour son premier jour [à l’affiche dans le pays]. Record battu ! », annonçait un communiqué de presse), ce Dernier train pour Busan enchaîne à toute allure les trouvailles plastiques et les idées ingénieuses de mise en scène. Après avoir débuté dans le cinéma d’animation, Yeon Sang-ho, pour son passage au film live, conserve le sens elliptique du croquis, une façon de brosser les personnages et les situations en quelques traits sûrs et efficaces, qui rejoint l’art dégraissé de la série B.

Comment faire barrage aux créatures ? Comment les esquiver ou se frayer un chemin entre elles ? Comment passer d’un wagon à l’autre pour rejoindre ses congénères ? Comment s’arracher à la directivité des trajectoires ? Yeon Sang-ho fait feu de tout bois : scène après scène, il installe une série de règles ludiques qui régissent la survie des personnages et démultiplient les enjeux.

Mais le train est aussi une image fantasmatique de la société sud-coréenne en marche, propulsée à travers son histoire. Dans l’affrontement entre les humains et les zombies, on peut voir une résurgence traumatique du conflit fratricide que fut la guerre de Corée – le film prend d’ailleurs une résonance particulière quand on sait que c’est à Busan que furent acculées, en septembre 1950, les forces du Sud, à la suite des premiers assauts des communistes. Mathieu Macheret

« Dernier train pour Busan », film sud-coréen de Yeon Sang-ho avec Gong Yoo, Ma Dong-seok, Jung Yu-mi, Kim Su-an (1 h 58).

VENGEANCE DE FEMME : « Moka », de Frédéric Mermoud

Moka, Bande-annonce, sortie le 17-08-16
Durée : 01:40

Moka, deuxième long-métrage du suisse Frédéric Mermoud (Complices) suit Diane (Emmanuelle Devos), une mère dont le fils adolescent est mort renversé par une voiture – qui ne s’est pas arrêtée. Dans la toute première scène, le réalisateur la filme comme un oiseau qui n’arrive plus à sortir d’une maison où il est entré : les yeux dans le lointain, elle se tape littéralement, presque mécaniquement, la tête contre la vitre. L’instant d’après, elle s’évade et la course commence.

De victime, elle devient chasseur solitaire – et le meurtrier, la meurtrière puisqu’elle sait qu’il s’agit d’une conductrice blonde (Nathalie Baye), devient la victime potentielle de sa colère et du pistolet qu’elle achète à un petit trafiquant. La Diane que Frédéric Mermoud reprend du roman de Tatiana de Rosnay qu’il adapte ici est un merveilleux personnage – par lequel on se laisse porter plus loin et plus facilement que par la narration, pourtant fort bien tenue. Personnage qui s’accorde bien mal avec l’image d’Epinal de la mère endeuillée, que plus rien du monde ne touche sinon son mal. Noémie Luciani

« Moka », film français de Frédéric Mermoud avec Emmanuelle Devos, Nathalie Baye, David Clavel, Diane Rouxel (1 h 29).

PLUS FORT QUE « SCHWARZIE » : « Predator », de John McTiernan

PREDATOR de John McTiernan - Bande-annonce
Durée : 01:23

Predator (1987), deuxième long-métrage et première grande réussite du réalisateur américain John McTiernan (Piège de cristal, Last Action Hero) fut largement ignoré par la critique à sa sortie, qui n’y vit qu’un banal produit décérébré. Le film compte désormais comme un modèle de la science-fiction survivaliste, ayant su, par son ingéniosité, transcender les limites de son sujet, et il a offert à Arnold Schwarzenegger l’un des rôles les plus iconiques de sa carrière à l’écran.

Cette histoire d’une troupe de mercenaires envoyée en mission de sauvetage dans la jungle sud-américaine, bientôt assaillie par une entité extraterrestre invisible, frappe aujourd’hui par la finesse de son exécution, sa beauté plastique, sa progression millimétrée et la richesse du sous-texte qui l’infuse. Le dédale luxuriant du décor, hostile, proliférant, semble s’auto-engendrer indéfiniment et plonge bientôt dans l’abstraction. Peu à peu, la jungle s’apparente à une sorte d’arène mythologique, où des surhommes s’affrontent telles des figures titanesques, comme sculptées dans le limon originel ou issues de ce nouvel Olympe qu’est l’hyperespace. M. Ma.

« Predator », film américain (1987), de John McTiernan avec Arnold Schwarzenegger, Carl Weathers, Bill Duke, Jesse Ventura, Shane Black (1 h 47).