« Changez de vie. Apprenez à coder. » Le slogan qui accueille les visiteurs à l’entrée du site Le Wagon.com est clair : en neuf semaines intensives, cette formation lancée en 2014 promet à ses élèves d’acquérir les fondamentaux du développement Web, afin de pouvoir postuler comme développeur ou monter son propre projet entrepreneurial.

Un extrait du code informatique de Duqu 2. | Kaspersky

Deux mois seulement pour se reconvertir ou doper radicalement son employabilité ? La formule paraît presque trop belle. Pourtant, elle séduit de plus en plus de jeunes en début de carrière, constate Romain Paillard, l’un des fondateurs de ce programme décliné dans dix villes (cinq en France, quatre en Europe et un à Beyrouth). Les raisons de cet engouement sont nombreuses, explique cet ancien avocat, lui-même reconverti : « Certains ne veulent plus avoir de patron. Avec le code, on peut travailler depuis une plage à Bali. D’autres souhaitent migrer vers des jeunes boîtes innovantes ou rêvent de monter leur start-up. »

Rémi Lebigre décide, lui, de se reconvertir pour une raison encore plus courante : l’impossibilité de trouver un travail. Après des études de neurosciences à l’université Pierre-et-Marie-Curie, à Paris, et un deuxième master en management des connaissances sur la vie en entreprise, il passe neuf mois à chercher un emploi, sans succès. Il se tourne alors vers la 3W Académie, qui forme des développeurs et des webmasters, et finance de sa poche 3 000 euros pour les trois mois de formation au Web.

Un investissement rentable pour ce jeune homme âgé de 25 ans : « Au lendemain de ma formation, j’étais en CDI comme développeur pour une agence de communication digitale ! Je gagne 32 000 euros brut par an et c’est moi qui ai proposé le salaire. Mes horaires sont très souples : si je le souhaite, je peux partir à 17 heures pour mon cours de sport. »

« C’est un peu comme à l’armée »

Depuis, M. Lebigre a reçu une dizaine de coups de fil de jeunes souhaitant se reconvertir comme lui. Le secteur est porteur : d’après le syndicat professionnel Syntec numérique, le secteur logiciels et services informatiques a créé 12 000 emplois en 2014, après en avoir créé 7 000 en 2013.

Le chemin n’est pourtant pas des plus faciles. Lorsque Naïs Alcaraz décide, après des études de communication, d’intégrer l’école 42, la formation en informatique lancée par Xavier Niel (fondateur de Free et actionnaire à titre personnel du Monde), elle doit passer par la « piscine », un mois en immersion intensive qui vise à sélectionner les candidats les plus motivés.

Une étape difficile : « Les deux premières semaines ont été assez horribles, je partais de zéro, c’était difficile, je pleurais tout le temps. Le rythme, c’est un peu comme à l’armée : on a vraiment la tête sous l’eau, d’où ce nom de piscine. » Certains élèves abandonnent en cours de route car, pour réussir, il faut avoir une certaine maturité. « La pédagogie est extrêmement libre, il faut se motiver et se discipliner, il vaut mieux avoir déjà un peu d’expérience », précise Naïs Alcaraz. Elle s’accroche, avec succès.

Aujourd’hui, à 26 ans, elle travaille pour le pureplayer Slate. « J’ai posté un CV en ligne, ma demande de stage a été retwittée 150 fois. J’ai eu très vite une dizaine de propositions, les gens étaient avides et je n’ai eu qu’à choisir. »

Si les entreprises sont séduites, c’est moins par les diplômes – la plupart de ces formations n’en délivrent pas – que par les compétences opérationnelles des candidats, explique Djamchid Dalili. Le fondateur de la 3W Académie reproche au système académique d’être trop théorique : « Je suis passé par une école d’ingénieurs. On nous transforme en encyclopédies. Pour coder, on n’a pas besoin de connaître l’histoire de l’informatique. Il faut apprendre à faire : certains élèves de BTS ou IUT informatique abandonnent leur cursus pour venir chez nous. »

« Philosophie » propre au numérique

C’est aussi par son efficacité qu’Alice Clavel a séduit la start-up française Save : « Ils ont été surpris par l’aspect pratique de mes connaissances. La plupart des ingénieurs et informaticiens qui postulent ont de très bonnes bases théoriques mais sont incapables d’écrire une ligne de code. » Sortie du centre de formation Le Wagon en mars 2015, Alice est passée par la prestigieuse école de commerce ESCP. Déçue par le niveau médiocre de ses cours, elle apprend à coder à la suite d’un stage dans une start-up berlinoise.

Au Wagon, les premières semaines sont rudes, le contenu est dense, mais la jeune fille est séduite par la méthode pédagogique : « On travaille en binôme et on change de partenaire tous les jours pour apprendre à connaître tout le monde et à travailler avec différents niveaux. Contrairement aux croyances populaires, il y a très peu de mathématiques. En revanche, il faut aimer la logique et être rigoureux. On apprend la patience et on ravale sa fierté. »

Peu importe les études d’origine : à condition d’être curieux et prêts à s’investir, le code s’ouvre à tous les profils. Nicolas Sadirac, directeur général de l’école 42, affirme même apprécier la diversité, source de richesse : « Parmi les diplômés, on a des étudiants qui sortent des Beaux-Arts, d’autres d’école d’ingénieurs, de doctorat de psychologie, de master de sociologie, d’école vétérinaire… On a même un moine tibétain. »

Si les compétences peuvent s’apprendre sur le tas, il est en revanche indispensable d’intégrer un certain état d’esprit. Romain Paillard évoque une « philosophie » propre au milieu numérique qu’il essaie d’insuffler aux élèves du Wagon : « Ils apprennent à se documenter par eux-mêmes, à s’améliorer sans cesse, à travailler en collaboration, avec cette idée fondamentale que rien n’est jamais acquis. Un développeur qui travaille depuis trente ans continue à apprendre chaque jour. »