Marine Johannes monte au panier face aux Américaines, jeudi 18 août. | MARK RALSTON / AFP

Il faut espérer que@MarineJ5 a attendu ce vendredi matin pour ouvrir son compte Twitter. Car pour éplucher l’avalanche de « mentions » reçues pendant sa demi-finale olympique contre les Etats-Unis, Marine Johannès devrait avoir la nuit devant elle. Or, elle a un match pour la médaille de bronze à préparer, contre la Serbie samedi.

La benjamine des Bleues, prochaine star annoncée du basket féminin français, a épaté ceux qui ont veillé après minuit pour regarder la défaite annoncée des Bleues face aux Américaines (86-67). Elle a terminé avec 13 points au compteur, mais a surtout produit quelques actions de classe, comme ce dribble en « cross-over » suivi d’un pas en arrière (« stepback ») et d’un panier à trois points. Maya Moore, l’une des stars de la WNBA, la ligue américaine, en a perdu une cheville et un peu d’amour-propre.

Marine Johannès, elle, a reçu des dizaines de demande en mariage sur Twitter, mais a surtout fait connaître son nom à d’éventuels recruteurs de WNBA qui regardaient le match.

Après la rencontre, la joueuse de 21 ans était comme gênée qu’on lui rappelle cette action. Elle a ri comme une adolescente prise en flagrant délit en train de faire le mur.

« - Tu sais que ton “cross” sur Moore fait déjà le tour de la planète ?

- [Rire gêné] Ah non je savais pas, ok…

- Tu peux nous en parler ?

- Ouh là, ça va très vite, je ne m’en souviens pas forcément…

- Ça ne ressemblerait pas un peu à du Stephen Curry, ce que tu fais à ce moment-là ?

- [Rire gêné] Non mais franchement ! Je sais pas, peut-être ! Je regarde beaucoup de NBA, donc peut-être que des fois je fais pareil sans faire exprès. »

L’arrière efflanquée est repartie soulagée après cet exercice qu’elle maîtrise mal, mais a dû interrompre son retour aux vestiaires quelques mètres plus loin, interpellée par d’autres journalistes. Plus tard, l’attaché de presse de l’équipe de France expliquait à une consœur américaine que non, ce ne serait pas possible pour le moment de rencontrer Marine Johannès.

Passes aveugles et dribbles de playground

Il s’agit de protéger la perle annoncée, membre de l’équipe type du championnat du monde des moins de 20 ans l’an dernier – la France avait pris la médaille d’argent –, dont les exploits en Ligue féminine de basket-ball lui ont déjà valu un reportage dans Stade 2. Ce qui n’arrive pas souvent aux basketteurs, encore moins aux basketteuses.

VIDEO. Marine Johannes, la nouvelle perle du basket français
Durée : 04:47

En vingt minutes face aux Etats-Unis, la native de Lisieux (comme Nicolas Batum) a justifié les attentes placées en elle depuis plusieurs années. Elle a commencé en LFB, à Mondeville (Calvados), à l’âge de 17 ans. Passes lumineuses, trois points à huit mètres, tir rapide, dribbles de playground et pénétrations inarrêtables : Johannès a un jeu rarement vu dans le basket féminin, spectaculaire et créatif. Son pendant : un déchet – trop de pertes de balles – qui peut être important dans ses mauvais soirs.

Rares sont les joueurs du championnat de France masculin dont les vidéos des meilleurs moments circulent sur YouTube. Elle a déjà les siennes.

Marine Johannès Highlights
Durée : 04:05

Certains de ses dribbles ou sa façon de shooter peuvent rappeler, en moins fulgurant, Stephen Curry, la nouvelle star du basket mondial. La comparaison est un peu écrasante : Curry a réalisé la saison dernière l’une des, sinon la meilleure, saisons régulières de l’histoire en NBA. Mais elle a un sens : Johannès, initiales MJ, a été fan de Michael Jordan, Kobe Bryant, et maintenant Curry.

« Je regarde beaucoup de matches NBA, je regarde aussi les Américaines. J’essaye de m’inspirer de Curry, c’est un exemple pour beaucoup de personnes. »

« Mon jeu tourne autour de la création »

Marine Johannès a la timidité de son inexpérience, et il faut se battre pour lui tirer plusieurs phrases d’affilée. Mais un mot revient sans cesse : « créer ».

« J’essaye d’être plus agressive, de créer pour les autres et pour moi, car mon jeu tourne autour de la création », dit la Française, qui a raté ses entrées en jeu en phase de poules (neuf tirs pris et un seul réussi en quatre matchs).

« Les deux, trois premiers matchs, j’étais un peu stressée par l’événement, disait-elle à l’issue du quart de finale contre le Canada (68-63), où elle avait aussi brillé par séquences. J’ai eu le soutien des coachs et des coéquipières pour rester confiante. Ce n’est pas qu’on s’en fiche un peu de l’âge, mais on fait confiance à chacune d’entre nous. »

Marine Johannès admet qu’elle « se posait pas mal de questions » au début du tournoi olympique, mais le message que lui martelaient la sélectionneuse Valérie Garnier, ses coéquipières et ses proches a fini par entrer : « Joue ton jeu. »

« Elle a beaucoup d’humilité, qu’elle reste comme ça »

« Elle fait plutôt des choses bien et, des fois, elle est en difficulté sur l’intensité physique, souligne Valérie Garnier pour tempérer l’enthousiasme. Ce qu’elle doit faire maintenant, c’est rester elle-même. C’est quelqu’un qui a beaucoup d’humilité, donc qu’elle reste comme ça. »

Johannès exploite dans cette phase finale le temps de jeu accru que lui offre le forfait de dernière minute de Céline Dumerc (blessure à la cheville gauche). Avec Olivia Epoupa, 22 ans, qui partage son culot et sa faculté d’accélération, elle forme un duo spectaculaire, qui change le jeu de l’équipe de France.

« C’est un basket très vivant, très spontané, aussi vif qu’explosif, analyse Romuald Yernaux, entraîneur de Charleville-Mézières en LFB interrogé par le site spécialisé LadyHoop. Quelqu’un qui va amener une nouvelle dimension non seulement au basket, mais aussi à la ligue féminine dans les années à venir. »

Bourges, meilleur club de basket féminin français – même si Lattes-Montpellier a remporté le titre la saison dernière –, doit se féliciter d’avoir signé la pépite pour les trois prochaines saisons. Elle y évoluera sous les ordres de la sélectionneuse Valérie Garnier, qui tentera de gérer au mieux la progression sportive et médiatique d’une jeune joueuse déjà sous contrat avec un équipementier :

« On a déjà vu des jeunes dont on s’est dit… “Il faut lui laisser le temps”. Elle n’est même pas passée par l’Eurocoupe ni l’Euroligue, et d’un coup elle se retrouve avec l’équipe de France aux Jeux olympiques. Cela fait quelques escaliers grimpés d’un coup. »

Maya Moore risque de suivre d’un œil la suite de l’ascension de cette inconnue qui lui a brisé les chevilles, un soir à Rio de Janeiro.