Benjamin Blandin (à droite) avec un membre de l’équipe de la Holberton School, école de programmation montée à San Francisco par des français membre du réseau While 42. | B. Blandin

Après un master 2 de business international à l’ISC Paris et un mastère spécialisé conseil en stratégie à l’EM-Lyon, Benjamin Blandin s’est spécialisé dans l’innovation. Aujourd’hui consultant pour le groupe Altran, il a achevé début août son troisième tour du monde de l’innovation (Tech-tour).

Au programme : rencontres avec une multitude de chefs d’entreprise, chercheurs innovants, universités, incubateurs, etc., répartis sur quatre continents. Son but : améliorer sa compréhension de l’innovation à l’échelle mondiale, saisir les tendances du moment, et donner quelques conseils aux étudiants lecteurs de « Campus » qui veulent un jour créer leur start-up.

Votre troisième Tech-tour s’est achevé au début du mois d’août. Quel était son objectif ?

Mes deux premiers voyages m’ont permis de défricher et développer une compréhension large et assez fine du fonctionnement de l’innovation et du développement des technologies à l’international. Au troisième, j’ai essayé de comprendre comment le modèle de la Silicon Valley s’est répandu à l’international, au travers de quatre écosystèmes différents, le Golfe arabique, l’Asie du Sud, l’Océanie et l’Amérique du Nord.

J’ai étudié quel était l’impact de l’environnement socioéconomique (cadre juridique et fiscal favorable ou non, aide publique, vivier local de talents, rôle et diversité du tissu éducatif, coût de la vie, qualité des infrastructures, etc.). J’ai cherché quels sont les facteurs qui facilitent l’émergence de l’innovation, et quelles sont les grandes tendances du moment.

Quel bilan tirez-vous de votre exploration dans ces différents écosystèmes ?

A Dubaï, l’écosystème d’innovation semble encore très artificiel : les incubateurs d’entreprises sur place comptent une grande majorité d’entrepreneurs occidentaux ou asiatiques qui débarquent avec des projets déjà mûris dans leur pays, les développent pendant quelques années, puis repartent vers d’autres pays pour la phase d’industrialisation. On pourrait presque parler d’innovation hors-sol.

A Singapour, les conditions de la réussite (rôle stratège de l’Etat, vivier d’innovateurs, accès aux financements, tissu d’établissement et de laboratoires importants, etc.) sont réunies mais le revers de la médaille est un manque de créativité de la part des entrepreneurs et le pays a du mal à promouvoir et exporter son innovation.

De son côté, l’Australie – malgré le handicap de sa position géographique et de la faible taille de son marché – est en train de rattraper son retard grâce à une politique d’état volontariste et à une bonne utilisation de ses ressources.

La Silicon Valley, qui malgré des points négatifs persistants (infrastructures, transport, coût de la vie, etc.) reste un écosystème incontournable grâce notamment à sa culture entrepreneuriale (valorisation de la prise de risque et de l’échec, networking), à son rayonnement, à sa capacité à attirer les talents du monde entier et à lever des fonds. Et enfin grâce à l’ambition de ses entrepreneurs qui ont toujours la volonté d’impacter à l’international.

Quelle est la place des universités et des écoles dans l’émergence de ces nouveautés ?

Au niveau international, les établissements d’enseignement supérieur sont la clef de la révolution technologique. Ils passent, petit à petit, d’une gestion des ressources à une gestion des talents de leurs élèves, notamment grâce à une pédagogie et à une méthodologie renouvelée.

Ils organisent de plus en plus de cours hors les murs, des « learning expédition » et des partenariats forts avec les entreprises – entre autres à travers des études de cas réels rémunérées. Toutes ces démarches changent la philosophie des formations, ouvrent les établissements sur l’extérieur, et aident les étudiants à découvrir leurs envies en leur donnant plus d’opportunités.

Pour autant, les établissements de ce type sont encore peu nombreux. Et trop souvent, on constate que la plupart ont du mal à travailler ensemble, à collaborer, à mutualiser leurs moyens et leurs initiatives (incubateurs d’entreprise, accélérateurs, FabLabs, etc.). La capacité d’évolution et de transformation des établissements va devenir de plus en plus un défi et une condition de survie dans un contexte de baisse progressive des dotations publiques.

Siège social de Google. San José -Silicon Valley. Etats-Unis. | Benjamin Blandin

Quels sont les atouts et les défauts de la France en la matière ?

Les écoles de commerce et de design françaises sont à la pointe en termes de partenariat avec les entreprises. Et je constate que les universités de l’Hexagone se sont aussi améliorées depuis la loi d’autonomie des universités de 2007. Petit à petit, la philosophie des formations s’oriente vers cette gestion des talents.

L’écosystème d’innovation en France – et plus particulièrement en Ile-de-France – a connu une croissance très impressionnante mais comporte des faiblesses. Je pense notamment au financement de ces nouvelles structures qui ont émergé au cours des cinq dernières années (incubateurs, accélérateurs, FabLabs, lieux de coworking, etc.) qui repose à environ 80 % sur des fonds publics, ce qui est assez rare au niveau mondial. En cas de crise, le robinet risque de se fermer, ce qui entraînerait la fermeture d’un grand nombre de ces structures.

Le deuxième point négatif concerne l’accès aux financements pour les entrepreneurs. Même s’il est aujourd’hui devenu facile pour une start-up d’être incubée ou accélérée, dès qu’un certain niveau de maturité est atteint et nécessite des ressources pour passer en phase d’industrialisation (100 000 à 1 million d’euros), il est parfois difficile d’obtenir les fonds nécessaires. La France pave ainsi le chemin vers la Silicon Valley où les investisseurs sont plus demandeurs.

Quelles sont les tendances actuelles en termes d’innovation sur lesquels peuvent s’appuyer les étudiants souhaitant créer leur start-up ?

Plusieurs types de technologies me paraissent très porteuses à court terme. Il y a d’abord, et c’est sans doute là que se passent le plus de choses, la FinTech (ou technologie financière). De nombreuses start-up sont en train d’innover dans les secteurs de la banque, de l’assurance et de la finance, traditionnellement très conservateurs. Cela va de la carte sur laquelle on peut enregistrer plusieurs cartes bancaires et de fidélité, aux services de banque en ligne, de gestion de portefeuille ou encore de paiement et transfert instantanés.

Il y a également la Silver Economy ou comment permettre aux personnes âgées de rester autonomes à domicile via la domo-médecine et la domotique. Les Smart Grids ou réseaux intelligents ont également le vent en poupe et un fort potentiel de développement. Ce sont par exemple des panneaux solaires qui, couplés à une batterie permettent de rendre une maison autonome (éclairage, eau chaude, etc.), de recharger un véhicule électrique et éventuellement de générer des revenus pour le foyer.

On peut enfin citer les voitures autonomes sur lesquelles de nombreux acteurs de la Silicon Valley travaillent. Ou encore la e-santé qui, dans les deux ou trois années à venir, permettra d’avoir chez soi des outils d’analyse médicale aussi précis que ceux de son médecin.

Lors de votre Tech-tour, vous avez rencontré de nombreux jeunes innovateurs. Quels sont leurs points communs ?

Trois profils reviennent souvent. Il y a d’abord l’universitaire au brillant parcours dans un établissement de renom, mais qui a été déçu lors de sa/ses première(s) expérience(s) en entreprise où l’expression personnelle n’était pas valorisée. Celui-ci se dit alors « je n’ai pas pu développer mon idée, me faire entendre, prendre un risque ici » et s’installe alors dans un environnement plus favorable. Je dois dire que ce profil-là ne vient en général pas d’un milieu défavorisé.

On trouve aussi le jeune qui, lors d’un stage ou d’un apprentissage à l’étranger, a découvert une autre manière de fonctionner ou une idée originale qu’il se met à développer ensuite.

Et puis, il y a l’aventurier, parfois autodidacte, qui joue le tout pour le tout, met de l’argent de côté pour développer son projet et se lance, parfois en partant à l’étranger. Ce profil-là réussit aussi assez bien.

L’école ou la formation suivie n’ont jamais été la condition sine qua non de leur réussite. Le tronc commun qu’elle donne est important et peut apporter des clés de lecture et aider dans le processus de réflexion. Mais l’ouverture d’esprit et la curiosité intellectuelle, qui nourrissent la capacité à innover, s’acquièrent surtout par ses propres moyens. Tout comme la capacité à sortir de sa zone de confort, à s’autoéduquer, à apprendre par soi-même sans contrainte extérieur.

Quels conseils donneriez-vous donc à des étudiants français, ingénieurs ou non, souhaitant innover ?

Je leur conseille d’être toujours en veille, à l’affût des « signaux faibles », de saisir toutes les opportunités à leur portée, de multiplier les occasions « d’avoir de l’avance », car c’est ce qui fait la différence. De lire, de regarder des reportages, d’assister à des colloques ou des conférences. Se demander s’il n’y a pas un think tank qui réfléchit à un domaine qui les intéresse.

Tout est bon pour avancer ses pions, développer son réseau, et apprendre toujours plus car au final, l’accès au savoir et à la bonne information est un avantage décisif.