Du bout des lèvres, l’Organisation des Nations unies (ONU) reconnaît son implication dans la terrible épidémie de choléra qui frappe Haïti. | Andres Martinez Casares / REUTERS

Du bout des lèvres, l’Organisation des Nations unies (ONU) reconnaît son implication dans la terrible épidémie de choléra qui frappe Haïti. La contamination a causé près de dix mille morts depuis l’arrivée de la bactérie dans le pays, en 2010, et rendu malades huit cent mille personnes. Voilà six ans que des casques bleus sont accusés de l’avoir apportée avec eux du Népal, ce que l’institution internationale s’est obstinée à nier jusqu’à présent.

« Au cours de l’année écoulée, l’ONU a acquis la conviction qu’il est nécessaire de faire beaucoup plus en ce qui concerne sa propre implication dans le foyer initial et les souffrances des personnes touchées par le choléra », a déclaré le porte-parole adjoint des Nations unies, Farhan Haq, jeudi 18 août. Certes la déclaration apparaît alambiquée et n’a pas le ton des annonces officielles fracassantes. Mais elle ressemble à un début de revirement, qui fait naître l’espoir chez les défenseurs des victimes et chez ceux qui, sur le terrain, attendent de l’aide pour parvenir, enfin, à maîtriser une épidémie loin de se calmer. D’autant que M. Haq a aussi promis qu’un nouveau plan d’action serait présenté dans les deux mois.

Avancée essentielle

« C’est une grande victoire pour les milliers d’Haïtiens qui se sont mobilisés pour la justice, qui ont écrit à l’ONU et porté plainte contre l’Organisation », s’est réjoui Mario Joseph, président du bureau des avocats internationaux de Port-au-Prince dans un communiqué, parlant de « victoire pour le peuple ». Il n’est pas le seul à considérer ce demi-aveu comme une avancée essentielle. Les Nations unies doivent maintenant présenter « des excuses publiques et établir un plan de compensation aux victimes qui ont tant perdu », a ainsi commenté l’avocate Beatrice Lindstrom, de l’Institut pour la justice et la démocratie en Haïti, une ONG américaine partie prenante dans un procès intenté à l’ONU.

En théorie, les réclamations des familles des victimes pourraient atteindre 40 milliards de dollars (35 milliards d’euros). En fait, l’institution a jusqu’à présent systématiquement mis en avant son immunité pour ne pas répondre aux requêtes des Haïtiens autrement que par les arguties de ses avocats. Une cour d’appel vient à nouveau de lui donner raison sur ce point, le 18 août.

Cependant, l’ONU peut difficilement se maintenir dans une position très inconfortable, alors qu’elle se trouve à la fois sous les projecteurs accusateurs de la presse et secouée par des réprobations en interne. Plusieurs rapports émanant de ses rangs ont dénoncé son obstination à nier sa responsabilité vis-à-vis des Haïtiens. L’universitaire Philip Alston, rapporteur spécial de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits humains, a en particulier fustigé son attitude « moralement inconciliable et légalement indéfendable ».

Déshydratations fatales

Car voilà longtemps que ne subsiste plus de doute sur le rôle joué par un bataillon de la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (Minustah) venu du Népal, où le vibrion à l’origine de l’épidémie est endémique. La souche bactérienne a, depuis, été séquencée : elle correspond parfaitement. La contamination est liée aux eaux usées et à une grande quantité de matières fécales qui se sont directement déversées dans un affluent de l’Artibonite, rivière près de laquelle était installé le campement de la Minustah en ce mois d’octobre 2010.

Très vite, la maladie, qui entraîne des déshydratations fatales, se répand alors dans les villages le long de la rivière ; dix mille cas suspects sont recensés en quelques jours et les structures de soin enregistrent des pics de quatre mille cinq cents cas par jour. L’épidémie s’étend très rapidement au reste du pays, l’un des plus pauvres de la planète, ravagé par un séisme qui a causé deux cent vingt mille morts dix mois plus tôt. Pis : elle n’a jamais cessé depuis. Une étude de Médecins sans frontières publiée en mars montre même que les neuf mille trois cents décès officiels ont été largement sous-estimés. « Entre 2010 et 2012, il y a eu plus de cas en Haïti que dans l’Afrique tout entière », souligne l’épidémiologiste Renaud Piarroux. Des chiffres d’autant plus forts qu’il n’y avait pas eu d’épidémie de choléra sur l’île depuis cent cinquante ans.

Ce professeur de l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille se rend régulièrement sur place, où il a été le premier à enquêter sur cette affaire, dès 2010. Dans son dernier rapport, qui date de juillet, il rappelle que par le nombre de victimes, cette épidémie est « la plus importe à laquelle le monde a dû faire face au cours des dernières décennies ».

Regain de l’épidémie

Il y a urgence à agir. Les espoirs mis dans le ralentissement du rythme de contamination en 2014 ne sont plus de mises. « Depuis un an, le choléra reprend de la force », note le médecin. A défaut de pouvoir métamorphoser Haïti en pays doté d’une infrastructure d’eau et d’assainissement moderne, il préconise de donner déjà les moyens au corps médical et aux ONG d’intervenir dès qu’un cas suspect est repéré, de se rendre dans chaque village touché pour y mener rapidement des actions d’éducation sanitaire et de distribuer des comprimés de chlore afin d’assainir l’eau. Il croit moins à la vaccination, à l’efficacité d’autant plus limitée qu’elle bénéficie à peine à 3 % de la population.

« Je participe à la rédaction d’un nouveau plan que prépare l’Unicef, confie Renaud Piarroux. Il ne sera mis en œuvre que si des financements importants sont débloqués. » Alors lui aussi se réjouit du changement de ton des Nations unies, persuadé qu’il présage forcément d’un revirement dans l’échelle des moyens alloués pour lutter contre un fléau aujourd’hui négligé.