Tracteur arrosant un champ de pesticides | PHILIPPE HUGUEN / AFP

Les moustiques vecteurs du virus Zika ne sont pas les seuls insectes à inquiéter les Etats-Unis actuellement. Résistant à la majorité des familles d’insecticides, porteur d’au moins une soixantaine de virus, dont certains sont dévastateurs pour les cultures, capable de vivre sur neuf cents types de plantes, l’aleurode du tabac (Bemisia tabaci) alarme depuis quelques mois les agriculteurs américains. « En Floride, Bemisia tabaci est la seule espèce susceptible d’être si abondante que les adultes forment des nuages quand les feuilles s’agitent », écrit un rapport du département de l’agriculture de l’Etat.

Ces mouches blanches représentent actuellement une menace pour l’ensemble de l’industrie agricole de la Floride, dont le poids économique s’élève à 120 milliards de dollars par an, et de laquelle dépendent deux millions d’emplois. Les aleurodes y menacent notamment les cultures de coton, de melons, de tomates et de haricots.

Apparition en milieu ouvert

En trop grand nombre, ces ravageurs deviennent néfastes pour les plantes, car leurs déjections entraînent l’apparition de champignons sur les feuilles, qui brunissent et ne peuvent alors plus réaliser de photosynthèse. De plus, les virus qu’ils transportent peuvent affaiblir les plantes et rendre leurs fruits ou légumes non comestibles.

L’espèce, probablement originaire d’Espagne ou du Portugal, avait déjà été repérée dans l’Arizona, aux Etats-Unis, il y a une dizaine d’années. En avril, des spécimens ont été signalés en Floride, dans le luxuriant comté de Palm Beach ; depuis, on en a trouvé en quarante endroits de l’Etat. Jusqu’à présent, ils n’avaient été détectés que dans des serres. C’est leur apparition en milieu ouvert qui provoque l’inquiétude des autorités.

Des aleurodes dévorent une feuille | LANCE OSBORNE / AFP

Il existe une trentaine de variétés d’aleurodes dans le monde. Celle qui inquiète actuellement, dite de biotype Q, résiste à plusieurs familles de pesticides, ce qui la rend particulièrement irréductible. De plus, sa répartition cosmopolite en fait un problème d’envergure mondiale.

Mutation génétique

La résistance des insectes aux pesticides n’est pas un fait nouveau : on en relève de nombreux cas en France et en Europe. Mais les ravageurs développent généralement une résistance à une seule famille de produits chimiques, restant vulnérables aux autres moyens d’action. Le problème est apparu aux Etats-Unis dès les années 1940, quelque temps à peine après l’introduction des pesticides dans l’agriculture.

Comprendre les problèmes posés par les pesticides en 5 minutes
Durée : 05:15

Généralement, la résistance provient d’une mutation. « Soit la structure de la protéine à laquelle s’attaque le pesticide est modifiée, soit le système nerveux produit plus de détoxifiants, ce qui aide l’insecte à mieux résister à l’agression d’un agent précis », explique Chriss Brass, chercheur à l’université d’Exeter. Les prédateurs naturels des insectes, touchés par les substances chimiques, ne sont alors plus en assez grand nombre pour réguler les populations de ravageurs.

Agriculture intégrée

Pour François Veillerette, président de l’association Générations futures, qui dénonce les dangers des pesticides, ce problème est étroitement lié à l’agriculture intensive, qui a métamorphosé les paysages ruraux : « Les grands champs n’exploitant qu’un seul type de plante sont des havres pour les ravageurs, surtout lorsque leurs prédateurs sont tués par les produits chimiques. »

Lorsque des cas de résistance sont constatés, des directives sont données aux agriculteurs pour les inciter à varier les produits chimiques ou à s’orienter vers l’agriculture intégrée, qui est d’ailleurs une norme européenne depuis 2013. « L’agriculture intégrée, en mélangeant divers moyens d’action (mécaniques, biotechniques, biologiques et chimiques), favorise la résistance des cultures aux nuisibles », d’après Christian Bockstaller, ingénieur à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA).

En favorisant la diversité de cultures dans un même champ ou en organisant des rotations des espèces plantées, l’agriculture intégrée empêche les ravageurs de s’établir de façon pérenne. De plus, changer sa manière de cultiver n’entraîne pas une baisse de profit : pour Bertrand Omon, membre de la chambre d’agriculture de l’Eure, le bilan économique des fermes à système de production intégré est souvent au moins égal à celui des exploitations voisines : « Les bénéfices sont moindres, certes, mais les agriculteurs dépensent beaucoup moins d’argent en produits chimiques. Ce qui freine la transition, c’est surtout une histoire de mentalité. L’agriculture intégrée suppose d’un agriculteur qu’il se démarque de la norme sociale. »

Aux Etats-Unis, Lance Osborne, professeur d’entomologie à l’université de Floride, a souhaité rassurer les agriculteurs américains. Pour lui, « on peut mieux contrôler les infestations si on combine les produits et qu’on établit un programme », rapporte l’Agence France-Presse. « L’établissement de ces insectes est un problème sur le long terme, dit Chriss Brass. Mais heureusement, quand des agriculteurs s’habituent à un type de ravageurs, ils finissent souvent par développer des méthodes pour ne plus en être affectés. »