Usain Bolt, après la finale du 4 × 100 m, le 19 août, à Rio. | Lee Jin-man / AP

Lucio Monteiro sourit tout le temps. Pourtant, Lucio Monteiro est fébrile. Aux abords du stade Engenhao, en cette fin d’après-midi du jeudi 18 août, le soleil commence à se coucher sur Rio. Survêtement blanc et multicolore, Lucio Monteiro, la quarantaine, est arrivé plusieurs heures avant les épreuves d’athlétisme de la soirée. C’est que ce dentiste brésilien a un « rêve ». Il espère pouvoir offrir une statuette d’Usain Bolt à Usain Bolt. Et tente donc de savoir par quelle entrée la star jamaïcaine pourrait bien accéder à l’enceinte. « J’avais un premier rêve, de porter la torche olympique. J’y suis parvenu, dans l’Etat du Minas Gerais, raconte-il sans que nous puissions le vérifier. Alors pourquoi ne pas réaliser celui-ci ? Mais ça va être compliqué. »

Le 31 décembre 2015, lors de la fameuse Corrida de Sao Silvestre, à Sao Paulo, Lucio Monteiro, déguisé en torche olympique, a effectué 15 kilomètres avec la figurine du sprinteur et son fameux geste mimant l’éclair avec ses bras. « Usain Bolt est une idole mondiale, explique le fan. Il fait tant de belles choses avec son corps et son âme. C’est un personnage qu’on a envie d’aimer. » Cela fait longtemps que Lucio Monteiro a eu un coup de foudre pour « La Foudre ». L’admiration semble toujours intacte.

Quelques heures plus tard, dans la nuit carioca, « Lightning Bolt » est venu illuminer la finale du 200 mètres devant un public incandescent. Dans le stade olympique, ils sont alors des dizaines de milliers de Lucio Monterio, énamourés, à crier leur joie de voir la star épingler son huitième titre olympique. On les a retrouvés le lendemain, dans la soirée du vendredi 19 août, pour la finale du 4x100 m. Comme à son habitude, Usain Bolt crée à lui tout seul l’écart dans le dernier relais pour franchir la ligne d’arrivée en 37 s 27, bien devant les Japonais (37 s 60), surprenants, et les Américains (37 s 62), impuissants. Comme à son habitude, le Jamaïcain se dirige ensuite vers les tribunes, haranguant la foule, les bras écartés. Comme à son habitude, il esquisse ensuite quelques pas de danses en compagnie de ses coéquipiers, hilares.

Retraite annoncée pour 2017

Avec neuf médailles d’or en trois Jeux, Usain Bolt réalise un historique « triple-triplé » (100 m, 200 m, 4x100 m) et trône, seul, au sommet de l’Olympe (où il a depuis longtemps déboulonné l’Américain Carl Lewis, lui aussi nonuple champion olympique). « J’espère que j’ai mis la barre suffisamment haute pour que personne ne puisse le refaire. J’ai prouvé que je suis le plus grand de ce sport. Pour moi, c’est mission accomplie », a dit, tout en sobriété, le Jamaïcain après ce dernier titre, puisqu’il a annoncé qu’il disputait au Brésil ses derniers Jeux.

A Rio, pour célébrer chaque nouveau succès, il aura multiplié les clins d’œil au public, les mimiques et les facéties lors de ses tours d’honneur. Des tubes de reggae sont diffusés dans l’enceinte. Le show Bolt devrait se terminer dimanche 21 août avec la parade en mondovision des athlètes pour la cérémonie de clôture des Jeux le jour de ses 30 ans.

Et encore une fois, la seule présence du sprinteur sur la piste bleue du stade olympique suffira à électriser la foule. Le public l’aura encouragé encore plus fort que les concurrents brésiliens, c’est dire. Il faut dire qu’avec sept courses – en additionnant les séries, demies et finales des 100 m et 200 m, ainsi que la finale du relais 4x100 m –, l’homme le plus rapide du monde n’a pas ménagé ses apparitions. Et il a apprécié l’ambiance. « Le public brésilien a été immense jusqu’à présent, expliquait-il dès le 14 août après sa victoire en finale du 100 m. Je veux le remercier pour ça. » Il n’a pas ménagé sa peine.

Soupçons de dopage

Mais s’il était venu « incognito » dans les tribunes – à considérer que cette scène de science-fiction fut possible –, lors d’une session où aucune de ses courses n’était programmée, qu’aurait-il vu ? Une immensité de sièges vides, où quelques spectateurs étrangers tentent d’animer la compétition, tant bien que mal. Une arène atone et plutôt triste à voir. C’est à travers ces violents contrastes que la « Bolt-dépendance » saute aux yeux, dans un pays pas vraiment féru d’athlétisme. Elle n’avait peut-être jamais été aussi visible d’ailleurs, alors que le Jamaïcain devrait prendre sa retraite dans un an, après les Mondiaux de Londres.

Voilà un défi immense pour les dirigeants de la Fédération internationale d’athlétisme. « Il faut remonter à Mohamed Ali pour retrouver un compétiteur qui stimule autant l’imagination que Bolt, reconnaissait l’actuel président de l’IAAF, Sebastian Coe, en 2015. Notre responsabilité est désormais de promouvoir d’autres athlètes afin que le monde les connaisse. » L’athlétisme, en proie aux scandales de dopage et de corruption depuis plus d’un an, devra se trouver un nouveau messie pour se sauver.

Car à Rio, Usain Bolt n’aura pas survolé que la piste. Même au-dessus des journalistes, il plane. Bien au-dessus des critiques et des soupçons frontalement exposés. Face aux micros, l’Américain Justin Gatlin, suspendu il y a dix ans pour prises de produits illicites, doit régulièrement se coltiner des questions sur le dopage. Le Jamaïcain, lui, en est quasiment épargné, quand bien même la lutte antidopage dans son pays, balbutiante, pourrait être source de nombreuses questions. Quand bien même sa discipline, le sprint, est rongée par la triche.

« Panthéon du sprint »

Au Brésil, mis à part un confrère anglophone intrépide, les médias n’ont quasiment jamais fait remarquer au champion qu’il pourrait être privé de l’une de ses neuf médailles olympiques. En juin, l’un des échantillons de son compatriote Nesta Carter, prélevé lors des Jeux de Pékin en 2008, a été soumis à de nouvelles analyses qui se sont révélées positives. L’or récolté en Chine risque donc d’être retiré au relais jamaïcain et le « triple triplé » effacé. Pas de quoi perturber Bolt : « Ça ne changera en rien mon héritage. »

Pas de quoi non plus perturber l’idylle médiatique. Avant le début des compétitions, une pseudo-conférence de presse avait été organisée avec Bolt – en réalité, une opération de communication avec danseuses de samba ettout le flonflon. Dans la salle, une journaliste norvégienne a pris son courage à deux mains : « Je n’ai pas de question. Je veux juste te dire que je t’aime vraiment, mec. » Comme si les médias regrettaient déjà la future perte de leur principal pourvoyeur de « unes ».

« Après ce qu’il a fait, il y aura un après-Bolt », résume le Français Christophe Lemaitre, qui a eu le privilège rare de pouvoir monter sur le podium avec Bolt après le 200 m. A distance très respectable du Jamaïcain, bien sûr. Pour les sprinteurs, la retraite du monarque absolu, annoncée pour 2017, « va ouvrir des possibilités pour tout le monde », reconnaît Lemaitre. « Il a fait une carrière monstrueuse. Je pense qu’il a sa place dans le panthéon du sprint pour l’éternité, même au-delà si c’est possible. On parlera de lui pendant des siècles et des siècles. » Amen.