Daniel Narcisse et Luka Karabatic, le 19 août, à Rio. | MARKO DJURICA / REUTERS

Ils n’ont tout de même pas atteint le niveau « Yohann Diniz » sur l’échelle de la détresse physique, mais on a rarement vu les Bleus éreintés à ce point. Nikola Karabatic traîne un œil au beurre noir depuis un coup de coude reçu une semaine plus tôt : « Je suis épuisé. » Valentin Porte, 25 ans, en paraît tout d’un coup dix de plus : « Je suis au bout du rouleau. » Michaël Guigou titube : « Faut que j’aille me reposer, j’ai la tête qui tourne. » Daniel Narcisse marche au ralenti : « J’ai mal partout, c’est plus de mon âge, ces bêtises. »

C’est pourtant ce dernier qui, du haut de ses 36 ans, vient, vendredi 19 août, de terrasser l’Allemagne et d’envoyer son équipe en finale des Jeux olympiques. A un quart d’heure de la fin, elle comptait sept buts d’avance sur la Mannschaft (23-16). A cinq secondes, plus aucun (28-28). A zéro seconde, un (29-28). Il a fallu un ultime tir miraculeux du Réunionnais volant, au terme d’une combinaison « qu’on n’avait pas faite depuis je sais pas combien de temps », pour que les Bleus obtiennent le droit de participer, dimanche, au dernier match du tournoi face au Danemark (19 heures en France). Etouffant.

« C’était pas mal, hein ? Tu vois jusqu’où on est capables d’aller pour que les gens restent devant leur télé ? » Claude Onesta débarque à son tour devant les journalistes, polo déchiré, pas tout à fait jusqu’au nombril mais presque : « C’est Dinart, il est fou. Je vous ai dit que ce type voulait m’éliminer ! » A l’époque où il était joueur, Didier Dinart saccageait régulièrement les chemises du sélectionneur après les grandes victoires. L’habitude perdure maintenant qu’il en est l’adjoint, et le successeur désigné.

« Elles nous ont mis la pression »

Plutôt que les vêtements d’Onesta, il y aurait franchement eu de quoi s’arracher les cheveux si ses joueurs avaient laissé filer une rencontre qu’ils tenaient si fort en main :

« Pendant quarante-cinq minutes, on a joué un handball de rêve, mais mettre le champion d’Europe à sept buts, ça n’était pas très rationnel. Ils allaient forcément finir par jouer à leur niveau. On a bien fait de marquer à deux secondes de la fin, parce que la prolongation aurait été compliquée. Quand une remontée n’est pas enrayée, elle est souvent fatale. »

Ce ne sont pas les homologues féminines des Experts qui diront le contraire, elles qui ont illustré à la perfection ces propos lors des quarts de finale : menées de sept buts à la pause par les Espagnoles, elles avaient rattrapé leur retard, avant de porter l’estocade en prolongation.

Sans le vouloir, les filles ont d’ailleurs servi d’aiguillon aux garçons en se hissant elles aussi en finale, vingt-quatre heures plus tôt. « Elles nous ont mis la pression, sourit Nikola Karabatic avec sa dernière énergie. En rentrant au village olympique, elles chantaient : “On est en finale, on est en finale !” Elles sont venues nous embrasser, on était tellement heureux pour elles, et en même temps on se disait : “Merde, c’est dur de jouer juste derrière, faut qu’on réponde présent aussi.” »

« Brique par brique »

Le handball offre ainsi un joli bouquet final à la délégation française, avec deux histoires bien différentes. Si l’équipe d’Olivier Krumbholz, qui n’avait jamais été si loin aux Jeux, a l’assurance d’accrocher une première médaille olympique, celle de Claude Onesta disputera sa troisième finale de suite aux JO, après Pékin (2008) et Londres (2012). La grande Suède des années 1990 avait déjà réussi pareil enchaînement… pour trois médailles d’argent (1992, 1996, 2000). Les handballeurs français ont l’occasion de faire mieux, à savoir aussi bien que les handballeuses danoises, championnes olympiques en 1996, 2000 et 2004.

Pour autant, Claude Onesta ne veut pas entendre parler de « triplé », un concept de journalistes qui l’agace, et que Philippe Bana, le directeur technique national, trouve également inepte : « Tout ce qui s’est passé avant, c’est du bruit. Le cœur du problème, c’est construire à chaque fois, brique par brique, ce Lego qu’est une médaille. Mais l’idée du triplé… Dans cette équipe, il y a des joueurs qui ont vu le premier titre olympique à la télé alors qu’ils jouaient encore en minimes. [Le pivot] Ludovic Fabregas est né en 1996. Si tu lui parles de Pékin, il te dit oui, oui pour te faire plaisir. »

Les rescapés de 2008 – Abalo, Guigou, Narcisse, Omeyer, Karabatic – ne trouvent tout de même pas ça complètement anodin : « C’est la troisième finale d’affilée, s’enflamme ce dernier, on est à des hauteurs qu’on ne pouvait pas imaginer. Je ne sais pas quoi dire, c’est tellement monstrueux. »

Le handballeurs français à l’issue de la demi-finale contre l’Allemagne, le 19 août, à Rio. | Matthias Schrader / AP