Il a souri. « Je n’étais pas là hier, il fallait bien que je passe vous faire un petit coucou. » Une dizaine de journalistes venus voir un compétiteur qui a fini « seulement » huitième la veille : la scène, au village olympique de Rio, n’est pas habituelle. Mais le calvaire de Yohann Diniz lors du 50 km marche, vendredi 19 août, a marqué les esprits, suscité des interrogations. Samedi, le marcheur français est revenu pour la première fois sur sa douloureuse course.

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Après des nouvelles rassurantes sur son état de santé, il raconte comment il perçoit sa huitième place acquise au Brésil, après avoir abandonné aux Jeux de Pékin en 2008 et avoir été disqualifié à Londres, en 2012.

Quel bilan tirez-vous de votre journée d’hier ?

Je venais là pour chercher une médaille que je n’ai pas, malheureusement. Mais bon, on ne réécrit pas l’Histoire. Je suis au moins finaliste, ça reste. On ne me l’enlèvera pas. Pour une fois, je serai classé aux Jeux olympiques.

Ça a vraiment été dur pour tout le monde. Il y a eu des défaillances dans tous les sens. Je ne vais pas remettre en cause ma stratégie de course. Je ne suis vraiment pas parti vite, mais sur un rythme très confortable, sur les bases de 3 h 41. Ce n’était pas énorme.

Et puis la situation a déraillé…

J’ai tout de suite eu des gros soucis au niveau gastrique dès le dixième kilomètre. Ça s’est vite transformé en saignements à partir du 12e, puis au 15e, 20e, 25e. Forcément, ça te pompe de l’énergie. Le corps doit lutter contre ça, contre la déshydratation. Après on ne va pas faire dans le scato, mais j’étais en manque de jus. J’ai vraiment perdu beaucoup de sang entre le 10 et le 15e kilomètre.

J’ai attendu le Canadien (Evan Dunfee) pour essayer de me refaire la cerise. Mais je n’arrivais plus du tout à suivre et j’avais vraiment des grosses douleurs. Après, je crois que je suis tombé, des gens ont voulu que je m’arrête, je ne me suis pas arrêté. On m’a aidé à me relever, je ne m’en souviens même pas. Il semblerait que les Australiens auraient voulu porter réclamation mais ils ne l’ont pas fait. Ça reste encore un tout petit peu humain.

Si on essaie de voir les choses sous un angle positif, vous réalisez vos meilleurs Jeux…

Franchement, je ne suis pas déçu. Je suis satisfait de ce que j’ai fait. Je me suis battu. Je suis allé au bout de ce que je pouvais donner hier. Forcément, en ayant la meilleure performance mondiale de l’année, en étant recordman du monde, champion d’Europe en titre, je m’attendais peut-être à mieux. Ce n’était pas un jour sans, parce que j’ai pris mes responsabilités, il n’y avait pas de pression. Mais ce sont des pépins de santé qui peuvent arriver un jour comme hier, avec de fortes chaleurs, un fort taux d’humidité, des ravitaillements qui passent moins bien, des intestins qui ne fonctionnent plus. J’ai essayé de tout faire, j’ai pris des ultralevures, pour qu’au niveau du ventre, ça passe bien. Malheureusement, il y a eu ce gros souci. Il faut trouver la cause pour que ça n’arrive plus. C’est la première fois que j’étais aussi mal. J’ai réussi à aller au bout, c’est l’essentiel. C’est pour cela que je ne suis pas déçu aujourd’hui. Il y a quand même le sentiment du devoir accompli.

Cela valait-il vraiment le coup d’aller aussi loin dans la souffrance ?

Oui, parce que je suis finaliste. Alors, certes, on ne retient pas la médaille. Dans la société actuelle, on croit pouvoir tout faire en un claquement de doigt, on se dit : « Tiens je vais m’inscrire à la Star Ac et demain je vais être célèbre. » Mais ce n’est pas ça la réalité de la vie. Je me suis tout le temps battu dans ma vie. Ce n’est pas la jungle mais pas loin.

Hier, il fallait aller chercher des ressources que j’ai à l’intérieur de moi. Ça fait partie des anciennes valeurs de l’olympisme - parce que maintenant les valeurs de l’olympisme, on ne va pas en parler… Le premier marathon en 1896, ils n’étaient pas beaucoup. Et ils ont tous fini sur des charrettes.

A l’arrivée, le Français a été transporté sur une chaise vers une tente. | JEWEL SAMAD / AFP

L’épreuve du 50 km marche a été marquée par 19 abandons. Les conditions de course, dont l’arrivée a eu lieu en début d’après-midi, étaient extrêmement difficiles…

Pourquoi ne pas faire la course en fin d’après-midi, quand tu sais qu’on est sur une chaleur plutôt descendante ? Au Brésil, à partir de 16 heures, tu sais qu’il commence à faire moins chaud. Mais si l’athlète était au cœur des Jeux olympiques, on le saurait, quand même.

Vous avez l’impression d’avoir mis votre santé en danger ?

Ouais mais je n’ai pas pensé à ça. Je n’ai pensé qu’à finir. Maintenant, on fait des miracles dans la médecine, on le voit même sur ces Jeux. Je savais que ça irait. Euh en fait, non, je ne savais pas. Je ne savais même plus dans quel sens je devais prendre la route. Ça a été un voile total. A partir du 40e, je ne sais pas comment j’aurais pu finir. Mais en tout cas j’ai fini et je suis là aujourd’hui. C’est que tout va bien.

Que se passe-t-il dans votre tête quand vous vous évanouissez, vers le 37e kilomètre ?

Je ne peux pas vous dire.

Mais quand la lumière se rallume, que vous reprenez conscience, qu’est-ce qui vous fait repartir ?

Hormis lors des championnats de France pour une crise d’asthme, je n’ai abandonné qu’une fois, aux Jeux de Pékin, lors d’une autre vie. Je sais que j’avais du monde derrière moi, l’équipe de France, ma famille. Quand je suis tombé dans les vapes, je ne savais plus de quel côté je devais aller. Jean-Seb et Renaud Longuèvre (dans l’encadrement français) m’ont dit : « Faut que t’arrêtes. » Mais j’ai répondu : « Non je n’arrêterai pas, faut que j’aille au bout. »

Je n’aurais pas pu abandonner. Mon disque dur n’était pas formaté pour l’abandon. Il était formaté pour aller au combat. Il y avait trois places sur le podium, je fais partie des cinq autres qui sont dans les huit premiers. Je me satisfais de ça. La vie ne s’arrête pas à une médaille.

Au lendemain de cette épreuve, êtes-vous épuisé ?

Je suis moins fatigué que d’habitude. Psychologiquement, c’est vraiment que ça va bien. Je n’ai pas mal aux jambes. J’ai mal au rein, mais c’est lié à ma chute, je me suis fait un hématome au niveau du rein. Je suis encore pas mal déshydraté donc il faut encore que je boive beaucoup mais je n’ai pas mal aux jambes, ni à la tête. Comme toujours, j’ai mal aux bras parce que j’ai dû me crisper pour faire avancer la machine, mais c’est tout.

Je me sens bien physiquement, mais à mon avis si je remets des chaussures ou que je fais un effort quelconque, je vais vite sentir que je suis « HS ». J’ai quand même été très loin dans le mal. Je suis resté assez longtemps à l’hôpital, pour retrouver mes esprits. Il faut que je me refasse la cerise.

Les Jeux ne vous réussissent pas. Peut-on parler de blocage psychologique ?

Non, pas du tout. J’étais serein, je suis parti et pris la course entre mes mains. Il n’y a pas eu de blocage. Dès que je me vidais ça allait mieux mais à partir d’un moment je commençais à trop me vider et je me déshydratais complètement. Je n’avais plus aucune énergie. Je ne vois pas où est le blocage, mis à part qu’il aurait peut-être dû se faire au niveau du bide.

Vous voyez-vous à Tokyo, en 2020 ?

Pour l’instant, je me vois chez moi avec mes amis et ma famille [il devait repartir en France dans la soirée de samedi]. Mais après, je me vois à Londres l’an prochain. J’essaierai de prendre du plaisir tout au long de l’année. Parce qu’hier, je n’ai quand même pas pris beaucoup de plaisir à la fin. Il faudra s’amuser, j’ai hâte d’y être. Je ne veux pas finir sur une note comme celle d’hier. L’aventure continue, elle ne peut pas s’arrêter là-dessus.