Voici Laercio Souza Guimaraes, 29 ans, champion interfavelas de cerf-volant, cuvée novembre 2011. La prouesse a valu à ce grand gaillard aux doigts de fée un joli trophée - qu’il a égaré - et la reconnaissance des caïds de la pipa (cerfs-volants).

Laercio nous offre un joli selfie. | C.G.

Nous sommes au « complexo do Alemao ». Un ensemble de plus d’une dizaine de favelas amassées dans la zone Nord de Rio de Janeiro. Une communauté de quelque 70 000 habitants, abandonnée des pouvoirs publics, où s’affrontent quasi quotidiennement forces de l’ordre et trafiquants. L’un des endroits les plus dangereux de Rio où l’on regarde les Jeux olympiques comme s’ils se déroulaient dans une autre ville.

Ce vendredi 19 août, Laercio nous emmène au « festival de pipas » qui se tient tous les week-ends et jours fériés à « Canitar » dans le bas du complexe. Un loisir bon marché qui, contrairement au foot, ne réclame aucune infrastructure. Mais plus que de festival, on peut parler de base d’entraînement pour le prochain tournoi.

Egout à ciel ouvert

Pour y accéder il faut longer un égout à ciel ouvert qui dégage une odeur infâme de W-C bouchés. Ici aucun passage d’agents des unités de polices pacificatrices (UPP) qui ont désormais si mauvaise réputation. La police ne s’aventure pas là où on pourrait avoir besoin d’elle, persiflent les habitants.

Sur le chemin, Laercio nous explique que l’idée selon laquelle les cerfs-volants servaient à prévenir les trafiquants de l’arrivée des forces de l’ordre est une légende. Leur alerte c’est les pétards, dit-il.

« Zika-Zéro »

Sur la route on dépasse une ancienne prison qui, pour être bâtie, a nécessité de détruire une maison et d’en déloger les habitants. Mais la prison, explique Laercio, n’a jamais été mise en service. A sa place, un local à l’abandon où s’emmagasinent les ordures. C’est ici, sous une pancarte « Zika-Zéro » qu’ira pondre sans gêne la femelle Aedes Aegypti, ce moustique responsable du virus du Zika, de la dengue et du chikungunya. Hormis le petit dernier de 10 mois, toute la famille de Laercio a contracté l’une ou l’autre de ces affections.

Quelques mètres plus loin notre cerf-voliste salue un homme de l’autre côté de la « rive » ou plutôt de l’autre côté du canal rempli d’eau putride. Un gars simple devenu zinzin après avoir servi de petite main aux gangs, apprendra-t-on plus tard. Son rôle aurait consisté à faire chauffer le « micro-onde » : une barbarie visant à enrouler la victime, préalablement rouées de coups, d’un monticule de pneus avant d’y mettre le feu. Un supplice subi par Tim Lopes, un journaliste de la chaîne de télévision Globo jugé un peu trop intrusif, dont le corps a été retrouvé en 2002 dans les hauteurs de complexo do Alemao.

Nous voici enfin à Canitar. Il est un peu plus de 16 heures. Les conditions sont idéales. Le soleil n’est plus très haut avec un vent juste comme il faut. D’habitude l’endroit est bondé. Les voitures coffres ouverts sont alignées pour vendre les « pipas » derniers cris à une cinquantaine de gars. Aujourd’hui c’est beaucoup plus calme. Ce matin « il y a eu des tirs », explique José Antonio, garagiste sur la place. « Ce qui manque ici c’est un grand terrain où on pourrait s’entraîner tranquillement », peste-t-il. Au loin, on entend des balles siffler.

Dégommer les adversaires

Les plus valeureux sont là. Que des hommes. Moyenne d’âge, entre 20 et 40 ans. À part Moïses Luiz, 9 ans, aux doigts ensanglantés par le fil de son cerf-volant, aucun gamin. On en déduit que la discipline n’est pas un jeu d’enfant. « Si, si, c’est très facile », fanfaronne Laercio. En réalité ce n’est pas un sport, c’est la guerre. Chaque concurrent doit, avec son cerf-volant, dégommer ses adversaires à l’aide du fils coupant qui retient son cerf-volant. D’où les doigts amochés de Moises qui maîtrise encore mal la technique.

Ce jour de novembre 2011 qui a valu la consécration à Laercio, le grand gaillard a mis à terre 32 cerfs-volants en l’espace d’une journée. « Un autre en a coupé 36 mais avec 15 cerfs-volants, moi, il ne m’en a fallu que quatre », raconte-t-il crânement.

« En ce moment les champions c’est Leo, Deguinho et Wagner », nous enseigne Rafael Alvis Carvalho, un grand costaud qui sirote une Skol entre deux échauffements de Pipa. Le trio prend la relève de Betao décédé cette année d’un accident de voiture cette année. Tout le monde le reconnaît, il manque encore au complexo le champion incontesté, le « Neymar » du cerf-volant.

C.G.

Le tournoi a lieu tous les mois dans une favela différente. Une quinzaine de communautés y participent (Complexo do Alemao comptant pour une). La date, flexible, est déterminée par un leader dans chacune des communautés. Au Complexo do Alemao le manager est « Rogeiro ». C’est lui qui enregistre - et rejette - les candidatures. Un homme ultra-recherché. Ultra-occupé. « Tout le monde lui court après ! », dit Laercio.

Frais d’inscription : un kilo de riz ou de feijao

Pour s’inscrire au tournoi, pas d’épreuve éliminatoire mais des frais : un kilo de riz ou de feijao (haricot noir) qui servira à l’ONG que gère aussi Rogeiro. Ensuite, on ne rigole plus. Si un inscrit ne vient pas le jour J sans une bonne excuse, il est banni. « Son nom apparaît en rouge et il ne peut plus faire d’autres compétitions », explique Laercio. Pendant l’épreuve, de 9 heures à 17 h 30, des juges scrutent les cerfs-volants, comptabilisent les pertes, et les renouvellements jusqu’au verdict final.

Laercio n’a pas encore mis fin à sa « carrière » de cerf-voliste. Mais il doute de pouvoir un jour revenir au sommet. Il a travaillé de nuit et a dû laisser de côté pendant plusieurs mois l’entraînement du week-end. Il se sent dépassé. « De mon temps [il a 29 ans], on fabriquait soi-même les cerfs-volants, on ne les achetait pas tout faits comme maintenant. »