Editorial Primaire des écologistes, primaire de la droite, primaire des socialistes (et associés), campagne présidentielle, campagne législative : nous voilà au seuil de dix mois de débats et d’empoignades politiques. Le terme de cette très longue séquence électorale est connu : le prochain président de la République sera désigné en mai 2017 et l’Assemblée nationale renouvelée en juin. Mais c’est bien la seule certitude.

Pour le reste, la situation est imprévisible, comme rarement à pareille échéance. La lourdeur du climat qui s’est installé sur le pays depuis des mois y contribue pour beaucoup. Les attentats djihadistes de Paris, de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray n’ont pas seulement traumatisé les Français, ébranlé la société, chamboulé la hiérarchie des inquiétudes et des attentes en mettant la lutte contre le terrorisme au premier rang des enjeux. Ils ont également placé toute la campagne à venir sous la menace de nouvelles tueries dont il est impossible d’imaginer l’onde de choc qu’elles pourraient déclencher.

Sabre au clair

L’incertitude sur les candidatures à la présidentielle ajoute évidemment à la confusion. Certes, celle de Marine Le Pen, pour le Front national, ne fait aucun doute. De même, Jean-Luc Mélenchon s’est, depuis des mois, autoproclamé porte-drapeau de la gauche radicale et « insoumise ». Mais aucun autre champion ne s’est encore imposé. C’est le cas à droite, où le résultat de la primaire destinée à départager les postulants est tout sauf acquis. Pour l’heure, rien ne garantit à Alain Juppé de conserver les faveurs de l’opinion dont il bénéficie depuis deux ans, rien n’assure à Nicolas Sarkozy, quelle que soit sa détermination, une victoire sabre au clair, et rien n’exclut définitivement que le duel annoncé entre les deux hommes ne soit contrarié par François Fillon ou Bruno Le Maire. Même civilisé par la procédure de la primaire, ce genre d’affrontement peut être meurtrier. L’histoire passée l’a démontré.

Plus que jamais, l’heure est à la défiance, au choix négatif, au vote exutoire

Au moins la droite connaît-elle ses candidats à la candidature. Rien de tel pour l’actuelle majorité. Quelles que soient les ambitions déclarées – Arnaud Montebourg sous sa propre casaque, Benoît Hamon, Gérard Filoche et Marie-Noëlle Lienemann pour les frondeurs socialistes, Cécile Duflot, Yannick Jadot et Michèle Rivasi pour les écologistes –, ou les velléités de tel ou tel autre, dont Emmanuel Macron, tout restera suspendu, jusqu’à la fin de l’automne, à la décision de François Hollande de se représenter ou non. Nul doute qu’il souhaite mener ce dernier combat, à condition qu’il ne soit pas perdu d’avance. Or, cette condition est loin d’être remplie.

Mais ce n’est pas tout. Ce que l’on peut discerner de l’attitude des Français rend le paysage encore plus indéchiffrable. Plus que jamais, en effet, l’heure est à la défiance, au choix négatif, au vote exutoire. François Hollande en est, à l’évidence, la principale victime. Hormis une embellie aussi spectaculaire que fugace au lendemain des attentats parisiens de janvier 2015, il souffre d’un discrédit sans précédent, sédimenté depuis quatre ans. Immédiat et presque viscéral à droite et à l’extrême droite, ce rejet est devenu majoritaire à gauche, y compris parmi ses électeurs de 2012. Le week-end passé, son ancienne ministre du logement, Cécile Duflot, a résumé d’un mot – « le renoncement » – le quinquennat hollandais, avant d’ajouter : « Il est trop tard pour qu’il recrée une relation de confiance avec son électorat. » Quant à l’ancien ministre de l’économie, Arnaud Montebourg, il en a ajouté un second – « les reniements » – pour expliquer pourquoi il lui est « impossible, comme à des millions de Français, de soutenir l’actuel président de la République ». Reste à savoir si ce rejet est irrémédiable.

La campagne qui commence risque fort d’être le condensé délétère de ces frustrations

Le chef de l’Etat n’est pas le seul touché. Son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, a été victime d’un phénomène similaire en 2012 où bien des électeurs, et pas seulement à gauche, ont voté contre lui, plutôt que pour François Hollande. Phénomène classique, dira-t-on, en particulier pour un président sortant. Sans doute, mais, dans son cas, exacerbé. Tout l’enjeu de la primaire sera donc, pour lui, de contrecarrer le réflexe « Tout sauf Sarkozy » que ne manqueront pas de solliciter ses concurrents. Beaucoup dépendra du corps électoral qui se mobilisera, les 20 et 27 novembre. Si l’ancien président peut compter sur la confiance du noyau dur de son électorat, qui lui est resté fidèle contre vents et marées, il lui faudra désarmer les préventions persistantes des autres, s’ils viennent voter en nombre.

Effet répulsif du FN

Quant à Marine Le Pen, elle exerce toujours un effet répulsif, en quelque sorte structurel, sur une grande majorité de Français. Tous les efforts qu’elle a réalisés depuis cinq ans pour enraciner et respectabiliser son parti n’y ont, jusqu’à présent, pas changé grand-chose. Selon le dernier baromètre 2016 de la Sofres pour Le Monde, le Front national représente toujours « un danger pour la démocratie » aux yeux d’une nette majorité de Français (56 %), incapable de participer à un gouvernement (54 %), tandis que sa présidente est jugée, par près de la moitié (47 %), comme la représentante d’une « extrême droite nationaliste et xénophobe ». Bref, elle n’échappe pas davantage que les responsables de gauche ou de droite à la défiance générale à l’encontre de la classe politique.

Si l’on en reste là, si les candidats ne trouvent pas le moyen, le langage, les propositions pour reparler de la France et du monde aux Français de façon convaincante et pour redonner du sens à leur action, la campagne qui commence risque fort d’être le condensé délétère de ces frustrations. Et de se solder par un arbitrage entre tous ces rejets. C’est l’inconnue majeure, et le défi, des mois à venir.