Tels les enseignants qui précèdent les élèves dans les salles de classe, les cinéphiles repeuplent les salles obscures avant les derniers grands retours. La diète est finie, l’offre est à nouveau pléthorique, des audaces d’un des films français en compétition à Cannes au divertissement, plus profond qu’il n’y paraît, venu de Hollywood.

COMMENT S’ÉPANOUIR À FORCE DE MANQUE D’INSPIRATION : « Rester vertical », d’Alain Guiraudie

Cannes 2016 : sexe, loups et baby blues en Lozère
Durée : 04:15

Comment se remettre au travail après le succès de L’Inconnu du lac ? Rester vertical formule dès son titre la meilleure réponse possible à ces questions. Sa vision révèle un Guiraudie soucieux de ne pas se laisser piéger par la plénitude classique et l’impeccable tenue formelle du précédent film. Sa réaction est sans doute la plus passionnante qu’un artiste puisse produire aujourd’hui : tout balayer pour tout recommencer, relancer les dés pour ne pas se laisser enfermer dans ses certitudes, s’essayer à autre chose et prendre ainsi le maximum de risques. C’est le film du doute, plus précisément de la crise d’inspiration.

On ne sera donc pas surpris que son héros, Léo, soit un réalisateur en repérages, à la recherche de son prochain film, et que le visage de son interprète, le jeune comédien Damien Bonnard, rappelle dans sa longueur et ses lignes brisées celui de Guiraudie en personne, comme un alter ego à la fois proche et distant. Comme souvent chez Guiraudie, les protagonistes se situent sur un éventail de trajectoires libidinales composites mais pas forcément conflictuelles. Ainsi, le film est-il semé de moments sublimes, d’idées fortes et de grands moments de mise en scène. « Rester vertical », ce n’est pas seulement une question d’érection, comme l’entendrait l’hédonisme guiraudien, mais un axiome qui invite à se tenir droit, vent debout contre toute adversité, sans rien transiger avec soi-même. Mathieu Macheret

Film français d’Alain Guiraudie avec Damien Bonnard, India Hair, Christian Bouillette, Laure Calamy, Raphaël Thiéry (1 h 40).

APOLOGUE POUR L’ÈRE NUMÉRIQUE EN FORME DE TEEN MOVIE : « Nerve », d’Ariel Schulman et Henry Joost

NERVE - Bande-annonce - VOST
Durée : 01:55

Quand elle vient d’un duo que l’on tenait pour des tâcherons du film d’horreur (Ariel Schulman et Henry Joost, responsables de deux Paranormal Activity), la découverte d’une nouvelle coréalisation maline, piquante et pertinente n’est que plus enthousiasmante. Nerve se présente sous les traits contemporains d’une mosaïque de captures d’écran. Les réalisateurs s’amusent à travailler l’image par surimpressions, filmant le visage de leur héroïne (Emma Roberts) dans le reflet de l’écran d’ordinateur. Dans cette fin d’adolescence semi-virtuelle, ces mots sans poésie (« Tu es où ? », « Que fais-tu ? », « Pourquoi tu as fait ça ? ») sont à la fois l’impulsion narrative (ils fixent des rendez-vous ou des défis) et le commentaire désabusé, inquiet, biaisé de l’action – le visage moderne et atrophié du chœur antique.

Vee, l’héroïne est poussée par la nécessité à s’inscrire à Nerve, un jeu en ligne clandestin. Nerve divise ses membres en deux catégories. Les « joueurs » acceptent contre de l’argent de relever des défis allant du baiser à un inconnu à braver la mort. Les « voyeurs » paient, et en échange voient (le joueur doit se filmer pendant qu’il relève le défi), commentent, relancent. Dissous dans le tissu infini de Nerve, l’individu, le « un », n’est plus. Le couple, lui, semble mieux parti pour tenir la longueur, avec ou sans écran. Et si deux « un » tiennent ensemble, visages en pleine lumière, cela peut-être le début d’une réinversion des pouvoirs. Noémie Luciani

Film américain d’Ariel Schulman et Henry Joost avec Emma Roberts, Dave Franco, Emily Meade, Miles Heizer (1 h 36).

AMOURS ILLICITES DANS LA SPHÈRE DE COPROSPÉRITÉ : « Hôtel Singapura », d’Eric Khoo

HOTEL SINGAPURA - de Eric KHOO - Teaser 2 VOST - La clef du succes
Durée : 00:46

Voici un huis clos à grand spectacle, qui embrasse l’histoire de la cité-Etat à la pointe de la péninsule malaise. Eric Khoo, le plus connu des cinéastes singapouriens, met en scène une dizaine de séquences, qui chacune réunissent des amants dans la suite 27 d’un hôtel aux fortunes fluctuantes. Du couple anglo-chinois forcé à la séparation par l’invasion japonaise aux deux post-adolescents coréens venus panser des blessures amoureuses six décennies plus tard, le film explore à la fois quelques-unes des infinies configurations du désir (la passion, les amours tarifées, la renonciation…), mais aussi plusieurs hypothèses de cinéma. Variant les langues (mandarin, japonais, anglais, coréen…) et les interprètes, le film frise parfois le pastiche. Eric Khoo regarde du côté de Wong Kar-wai ou de Hong Sang-soo, donnant en quatre-vingt-dix minutes une espèce de carte historico-cinématographique du Sud-Est asiatique, enluminée de gravures érotiques. Thomas Sotinel

Film singapourien d’Eric Khoo avec Josie Ho, Ian Tan, Kim Kkobi (1 h 30).

ASCÈSE ET WESTERN : « Mimosas, la voie de l’Atlas », d’Oliver Laxe

MIMOSAS, LA VOIE DE L' ATLAS de Oliver Laxe - Bande annonce
Durée : 01:40

L’étrange film d’Oliver Laxe suit l’errance d’une poignée d’hommes chargés d’emporter un corps jusqu’au lieu de son dernier repos. Le film présente celui qui deviendra son protagoniste, Shakib (Shakib Ben Omar), lancé à perdre haleine dans un prêche que l’on attendrait plutôt dans la montagne, dit par un prédicateur en costume traditionnel, mais que le jeune homme profère casquette à l’envers sur la tête, et entre deux voitures. C’est là qu’un mystérieux employeur lui impose sa mission : le mystique enfiévré servira de guide à l’escorte du mort jusqu’à Sijilmassa, la ville où l’on n’arrive jamais.

Cet argument très simple permet un va-et-vient entre deux lectures. Le sens intemporel, plus facile d’accès, tient à une tentative de rappeler ce qui fait ou devrait faire l’homme, qui ressort dans le dépouillement sans confort du désert : la capacité à tenir une promesse, même aussi absurde qu’escorter un corps. Le sens contemporain et contextuel offre l’hypothèse d’une actualité profonde de la foi revendiquée par Shakib. L’enjeu du film n’est sans doute pas tant de savoir lequel de ces deux mondes est le nôtre et lequel est l’autre, ou s’ils sont tous deux nôtres, ou tous deux autres. Il s’agit plutôt d’accueillir la suggestion d’un autre code de lecture de l’existence et de la route, comme constamment placées sous le regard de Dieu. N. Lu.

Film espagnol, marocain, français et qatari d’Oliver Laxe, avec Ahmed Hammoud, Shakib Ben Omar, Saïd Aagli (1 h 33).

ŒCUMÉNISME CINÉPHILE EN VERSION FRANÇAISE : Festival international du film francophone à Angoulême

VOIR DU PAYS de Delphine et Muriel Coulin avec Soko et Ariane Labed
Durée : 01:31

A sa neuvième édition, le festival fondé par Dominique Besnehard (ex-agent, producteur…) assume sa double identité : d’une part, rendez-vous de réalisateurs aventureux, dont on trouve les films dans la compétition francophone (Hedi, du Tunisien Mohamed Ben Attia, remarqué à Berlin, Voir du pays, de Delphine et Muriel Coulin, Mercenaire, de Sacha Wolf, et Ma vie de courgette, de Claude Baras vus à Cannes), ou dans l’hommage au cinéma libanais (Peur de rien, de Danielle Arbid, ou Tramontane, de Vatche Boulghourjian) ; d’autre part, une série d’avant-premières de longs-métrages voués (par leurs producteurs, sinon par le public) au sommet du box-office : Un petit boulot, le film posthume de Pascal Chaumeil, La Taularde, d’Audrey Estrougo, avec Sophie Marceau, ou Le Ciel attendra, nouveau film de Marie-Castille Mention-Schaar, la réalisatrice des Héritiers, qui évoque le basculement de deux jeunes filles dans le djihad.

A ce menu d’actualité copieux, on peut ajouter un hommage aux Films du Losange, qui présenteront une demi-douzaine de leurs productions, de La Vallée, de Barbet Schroeder, à Caché, de Michael Haneke, et quelques films libanais plus anciens. Parmi eux, une rareté, Le Vendeur de bagues, réalisé au Liban par Youssef Chahine en 1965, avec la superstar Fairouz dans le rôle principal. T. S.

Du 23 au 28 août dans les salles d’Angoulême.