Une femme vêtue d’une tunique et d’un turban bleu est contrôlée et amandée sur la plage de la promenade des Anglais, à Nice, le 23 août. | BESTIMAGE

La notion de « laïcité » à la française devient de moins en moins compréhensible à l’étranger. Dans une série de clichés apparus en ligne, notamment dans un article du Daily Mail daté du 23 août, on peut voir une femme vêtue d’une tunique et d’un turban bleu assorti approchée par trois policiers, sur la plage de Nice. Sur la dernière photographie, elle retire sa tunique.

En quelques heures, cette scène est devenue le symbole de l’application aveugle d’arrêtés municipaux pris dans plusieurs villes de France contre le port des vêtements religieux à la plage. Des arrêtés aux contours flous, qualifiés d’« anti-burkini » mais qui reviennent aussi en pratique à verbaliser des femmes qui portent le voile au bord de la mer. Ni la femme prise en photo à Nice ni la mère de famille de Cannes verbalisée le 16 août ne portaient le fameux vêtement de bain.

L’incompréhension de la presse internationale

En réaction, dans la journée du 24 août, le hashtag #WTFFrance pour « What the fuck France ? » (« Qu’est-ce que vous foutez la France ? ») était en tête des mots-clés discutés sur Twitter. Les commentaires pleuvent, dénonçant « des images indignes » et ironisant sur cet incident survenu au « pays des droits de l’homme ». La militante Caroline de Haas tweete : « J’ai tellement honte. »

Chez les Anglo-Saxons, l’incompréhension est de plus en plus massive. Déjà lors de la publication des premiers arrêtés, la presse internationale s’était indignée ou avait ironisé sur la polémique française : « C’est cela la laïcité ? C’est à ça que ça ressemble, d’être “libéral” ? Des hommes qui forcent des femmes à se déshabiller ? », se demande une journaliste de Buzzfeed.

Pour les Anglo-Saxons l’interdiction d’un vêtement au nom de la laïcité n’a aucun sens, dans un modèle social où, au nom de la liberté individuelle, les vêtements religieux sont autorisés partout. Le New York Times titrait la semaine dernière sur la « bigoterie française », ironisant sur l’hypocrisie des « arguments variables » pour justifier l’interdiction, « le trouble à l’ordre public, l’hygiène, la sécurité et la morale », vue comme une « raison de plus de stigmatiser et de marginaliser les musulmans de France ».

Devant les images de cette femme enlevant une tunique sous les yeux de quatre policiers, certains s’étonnent qu’il existe désormais une sorte de « police des mœurs » qui oblige les uns ou les autres à adopter tel ou tel vêtement. L’expression « tenue (…) respectueuse des bonnes mœurs » figure en effet dans l’arrêté cannois, validé le 13 août par le tribunal administratif de Nice.

Christian Estrosi veut éviter la diffusion des images

Signe de la crispation générée par l’affaire, un communiqué publié mercredi 24 août en fin de journée par Christian Estrosi, le premier adjoint au maire de Nice et président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, annonce que « des plaintes ont été déposées pour poursuivre ceux qui diffusent les photographies de nos policiers municipaux ainsi que ceux qui profèrent à leur encontre des menaces sur les réseaux sociaux ».

Le communiqué parle d’une « manipulation qui dénigre la police municipale et met en danger ses agents », tout en précisant qu’« un équipage de police municipale est intervenu hier en bord de mer pour vérifier l’application de l’arrêté en vigueur depuis le 18 août à Nice », à propos des images circulant « depuis le matin » du 24 août. Le texte appelle enfin de nouveau à une « législation nationale » qui préciserait un « cadre juridique applicable à l’ensemble du territoire », ce à quoi le premier ministre, Manuel Valls, est opposé.

De quoi confirmer l’origine des photos, dont certains spéculaient qu’elles pouvaient être une « mise en scène », analyse basée sur le fait qu’elles sont nettes alors qu’elles ont été réalisées « au téléobjectif (…) si l’on en juge par la nature de la photo et l’écrasement de la perspective sur celle-ci ».

De tels doutes ont pu naître en raison de l’origine peu claire des photographies diffusées, aucun des médias les ayant publiées les 23 et 24 août n’ayant crédité – au départ – leur auteur (dont le quotidien national The Guardian).

Après recherches, les images ont en réalité été prises par un photographe professionnel freelance collaborant régulièrement avec l’agence Best Image, partenaire en France de Vantage News, une agence photo britannique qui a vendu les images à divers médias britanniques. Selon un membre de Best Image contacté par Le Monde, le photographe se trouvait sur la plage à Nice pour faire des images d’ambiance lorsqu’il est tombé sur cette scène, qu’il a photographiée.