Christine Lagarde, directrice du Fonds monétaire international (FMI) à son arrivée à Douala, au Cameroun, le 6 janvier 2016. | REUTERS

« Ah bon ! Ça a fini par arriver aux Grecs aussi. » Nombre de quadragénaires originaires d’Afrique subsaharienne ont réagi ainsi en suivant les récentes empoignades entre la Grèce et ses créanciers. Le feuilleton à rebondissements entre Athènes et le groupe des créanciers emmenés par le Fonds monétaire international (FMI) et l’Union européenne (UE) leur a brutalement rappelé les tout premiers programmes d’ajustements structurels (PAS) imposés par les institutions de Brettons Woods dans les années 1980 à plusieurs pays africains.

Une thérapie de choc

Comme aujourd’hui en Grèce, le FMI et la Banque mondiale avaient en effet imposé, le couteau sous la gorge, en Afrique subsaharienne, des réformes économiques exclusivement orientées vers la réduction des dépenses publiques, y compris à travers des coupes claires dans des secteurs sociaux essentiels. Derrière cet affichage du souci de maîtrise des dépenses de l’Etat, pointait, comme en Grèce aujourd’hui, la seule chose qui importe pour les créanciers de l’Afrique subsaharienne : assurer le service de la dette.

En clair, il s’agissait pour chaque Etat d’être en mesure de continuer à rembourser les emprunts, peu importe si cela doit passer par le sacrifice de l’avenir de la jeunesse ou le retard dans le développement. Ainsi, la mise en œuvre du PAS avait amené certains Etats africains, tels que le Mali, le Niger ou le Sénégal, à fermer à tour de bras les internats des écoles publiques. Cette mesure, associée à la réduction du nombre des bourses accordées aux étudiants, avait jeté en dehors du circuit scolaire et universitaire des générations d’Africains.

D’autres pays du continent avaient, quant à eux, été contraints de geler le recrutement dans la fonction publique. En Afrique, les effectifs des agents de l’Etat peuvent certes s’être révélés totalement irrationnels comme l’atteste le cas du Congo-Brazzaville qui dénombre en 2015 quelque 150 000 fonctionnaires pour 4,7 millions d’habitants alors que le Sénégal peuplé de près de 15 millions ne comptait « que » 108 000 agents. Toutefois, même de telles aberrations ne sauraient justifier l’opposition du FMI et de la Banque mondiale au recrutement de médecins dans des pays qui étaient à mille lieues d’atteindre le ratio fixé par l’Organisation mondiale de la santé d’un médecin pour 10 000 habitants.

Avec la même rigidité qu’en Grèce aujourd’hui, les créanciers avaient aussi imposé à d’autres Etats africains des privatisations tous azimuts de sociétés publiques qui étaient finalement tombées dans l’escarcelle de grands groupes occidentaux.

Tout comme à présent la Grèce résignée à vendre certaines de ses îles, les Africains avaient alors dû céder des « bijoux de famille » sous la pression des institutions de Bretton Woods. Les Ivoiriens, par exemple, gardent encore en mémoire le rachat de la Compagnie ivoirienne d’électricité par le groupe français Bouygues alors que les Nigériens regrettent toujours la privatisation de la Société nigérienne des textiles (Nitex) et ses jolis pagnes qui faisaient ressortir la beauté des Nigériennes.

Les secrets de la résilience africaine

Les politiques d’ajustements structurels avaient conduit ici et là à des révoltes estudiantines et à des grèves de fonctionnaires, parfois très rudes. Au Mali et au Niger, par exemple, ces mouvements sociaux ont débouché en 1990 et 1991 sur les revendications démocratiques qui ont contraint les pouvoirs en place à concéder le multipartisme.

A y regarder de près, l’attitude des citoyens des pays africains qui ont subi le PAS tranche fortement avec ce qui se passe aujourd’hui en Grèce. Sous le poids des mesures imposées par le FMI, la Commission de l’UE et les autres créanciers, de nombreux couples ont été brisés dans le pays, des locataires ont été mis à la porte, faute d’avoir pu acquitter leur loyer. Pris de désespoir, des retraités ont tenté de mettre fin à leurs jours. Des personnes âgées se sont également retrouvées en grande difficulté après les coupes drastiques opérées dans les budgets des services d’assistance sociale.

Plusieurs facteurs ont permis aux personnes touchées par le PAS de développer plus de résilience face au diktat des créanciers. Il y a d’abord le contexte social africain qui amortit le choc du passage de l’abondance extrême à l’indigence totale. On évoque plus volontiers la légende autour du Nigérian Aliko Dangote, passé de marchand ambulant de Kano, grande mégapole du nord du pays, à l’homme d’affaires le plus riche d’Afrique. Sur le continent, il existe des personnes qui ont effectué le parcours inverse, passant du statut de multimillionnaires en CFA ou en naira à indigent. Sans que cela conduise au suicide ou au drame familial. La forte solidarité familiale ou clanique a également été un facteur de la résilience dans l’épreuve imposée par les institutions de Bretton Woods.

En Afrique, le salaire d’un fonctionnaire nourrit une dizaine de personnes, pas seulement des membres de sa famille « nucléaire » (épouse et enfants). Résultat, le jour où la rémunération de l’agent n’est plus payée à « terme échu », le reste du clan lance « le système D » pour assurer le gîte et le couvert. C’est cela qui a permis à certains pays de traverser des périodes de trois, six voire neuf mois d’arriérés des salaires. Une chose totalement inenvisageable à Athènes. De même, il existe dans la plupart des pays africains une sorte de gentleman agreement entre le propriétaire et le locataire qui profite très généreusement à celui-ci. En effet, à la différence de l’Occident, dans la plupart des pays africains le loyer est payé à la fin du mois. Pas le premier du mois. Il y a enfin l’organisation des manifestations nationales populaires régulières qui ont aidé les pays africains à traverser « dignement » les dures souffrances des politiques d’ajustements structurels. Par-delà leur caractère festif, les championnats ou les compétitions de lutte traditionnelle fonctionnent au Niger et au Sénégal comme des soupapes de sécurité sociale. Il en va de même pour les compétitions de football en Algérie, en Tunisie ou en Egypte et des grands concerts de musique au Congo-Brazzaville et en République démocratique du Congo (RDC).

Sans rancune ni amertume

Le directeur de la Banque mondiale Jim Yong Kim durant une visite à Abidjan, en Côte d’Ivoire, le 4 septembre 2012. | Luc Gnago/REUTERS

Bien qu’il ait fait, dès le départ, l’objet de virulentes critiques de certains économistes, le PAS a été imposé sous différentes versions aux pays africains. Certains d’entre eux ont donc accepté sans sourciller des PAS I, II et même III. Contre toute attente, les charges les plus sévères contre ses choix économiques défendus par le FMI et la BM, avec pour seul objectif comme en Grèce de rembourser la dette, étaient finalement venues non pas des pays, mais d’institutions internationales comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS), de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), du Programme des Nations unies contre le développement (PNUD) ou de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco).

Ce n’est que sur le tard que le FMI et la Banque mondiale ont fait leur mea culpa, mais sans promettre des dédommagements pour les méfaits des PAS. Personne ne leur en tient rigueur sur le continent. Comme si de rien n’était, la directrice générale du FMI Christine Lagarde et le président de la Banque mondiale Jim Yong Kim ont chacun droit à un accueil de chef d’Etat lors de leurs séjours africains. Après le tapis rouge déroulé au pied de l’avion qui les transporte, Mme Lagarde et M. Yong Kim passent en revue les groupes de danses folkloriques avant le passage par le salon d’honneur. Ils ont ensuite droit à une escorte policière pour arriver à l’audience prévue aussitôt avec le président de la République du pays hôte. La radio et la télévision publiques ouvrent naturellement leurs journaux avec cette visite de la plus haute importance. Il n’est pas sûr que les Grecs aient dans un proche avenir la même indulgence à l’égard de Mme Lagarde ou du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker.

Seidik Abba, journaliste et écrivain, auteur du Niger face au Sida : atouts et faiblesses de la stratégie nationale, éd. L’Harmattan, 2009.