LA LISTE DE NOS ENVIES

Cette semaine après avoir bien regardé tout ce que la rentrée littéraire nous avait apporté, nous avons sélectionné deux romans et deux essais. Quatre publications à la tonalité certes sombre mais qui n’en restent pas moins passionnantes.

ROMAN. « Au commencement du septième jour », de Luc Lang

Quand un auteur atteint la puissance de recréation de la vie que Luc Lang déploie à chaque page de son onzième roman, avec la sorte de grâce qui touche parfois un écrivain, soudain projeté au plus haut degré d’intensité de son œuvre, tout semble repartir de zéro, comme si l’abondance même du texte n’avait d’autre finalité que de faire entendre ce silence des origines.

Silence qui est d’abord, dans Au commencement du septième jour, celui de la nuit, dans la campagne normande, où la voiture de Camille glisse et s’écrase ; celui de Camille aussi, plongée dans le coma, et dont on n’entendra jamais la voix, sauf à titre de souvenir. L’histoire qui commence n’est pas la sienne : elle est celle de son mari, Thomas, suivi pas à pas, dans une première partie éblouissante de densité, de sens du rythme – sismographe de l’affolement et de la mélancolie –, au long de son calvaire. Florent Georgesco

STOCK

« Au commencement du septième jour », de Luc Lang, Stock, 544 p., 22,50 €.

ESSAI. « Laëtitia ou la fin des hommes », d’Ivan Jablonka

L’historien Ivan Jablonka explore l’affaire criminelle Laëtitia Perrais, victime de Thierry Meilhon en janvier 2011, enlevée, poignardée, étranglée et, finalement, démembrée. En tentant de sortir la victime du fait divers, en la faisant échapper à la « fin des hommes ». Le fait divers sera pour lui l’occasion de toucher « une profondeur humaine et un certain état de la société » : « Un fait divers émerge, naît à la conscience publique parce qu’il se trouve à l’intersection d’une histoire, d’un terrain médiatique, d’une sensibilité et d’un contexte politique. »

Le programme de Laëtitia ou la fin des hommes est de raconter la France de ce début de siècle. Au fil de son essai, Jablonka établit petit à petit un parallèle entre le mauvais père adoptif de Laëtitia et la figure de mauvais président que fut, selon lui, Nicolas Sarkozy. Le récit du crime contre une jeune fille du « peuple » devient l’analyse d’un crime contre le peuple tout entier. Eric Loret

SEUIL

« Laëtitia ou la fin des hommes, d’Ivan Jablonka », Seuil, « La librairie du XXIe siècle », 400 p., 21 €.

ESSAI. « L’Année sans été. Tambora, 1816 », de Gillen D’Arcy Wood

Pendant que Mary Shelley inventait Frankenstein sur les bords du Léman en 1816, l’été suisse connaissait une météo exécrable, conséquence de l’éruption colossale du volcan Tambora qui, à l’autre bout du monde (Indonésie) et l’année précédente, avait projeté des particules soufrées à 40 kilomètres dans l’atmosphère. L’absence de mousson en 1816, puis les pluies diluviennes de 1817 provoquent la première explosion de choléra en Inde. Etc.

Deux cents ans plus tard, l’historien américain D’Arcy Wood se fixe pour « défi » de « reconstituer les événements cataclysmiques mondiaux dont les témoins historiques ignoraient les causes ». Pour cela, il puise dans les sources scientifiques – les premiers relevés météorologiques, les observations des médecins, les carnets de voyageurs –, mais aussi les œuvres des poètes et des peintres. De quoi lancer un sévère avertissement contre « l’hubris technologique » moderne : « Si, au début des années 1800, un changement climatique de trois ans a provoqué de telles destructions et redéfinit les affaires humaines (…), alors, il est impossible d’imaginer les conséquences futures d’un changement climatique de plusieurs décennies. » Nathaniel Herzberg

LA DÉCOUVERTE

« L’Année sans été. Tambora, 1816. Le volcan qui a changé le cours de l’Histoire » (Tambora. The Eruption That Changed the World), de Gillen D’Arcy Wood, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Philippe Pignarre, La Découverte, 300 p., 22 €.

ROMAN. « Le Dernier Voyage de Soutine », de Ralph Dutli

Dans une Citroën corbillard, sous un linceul immaculé – une parfaite scène de film. Nous sommes le 6 août 1943. En pleine France occupée, le peintre juif russe Chaïm Soutine (1893-1943) doit quitter Chinon (Indre-et-Loire) pour rejoindre Paris et tenter l’opération qui seule pourra – peut-être – lui sauver la vie. Comment faire ? Cacher son corps déjà livide au fond d’un fourgon mortuaire : voilà son idée. Quand la voiture s’ébranle, les chauffeurs n’en reviennent pas. Jamais encore ils n’ont transporté de cadavre vivant…

Le titre est explicite, ce sera le dernier voyage de Soutine. Pendant trois jours (il meurt le 9 août à 50 ans), le peintre revoit sa vie à travers les vapeurs de la morphine. Du shtetl biélorusse à l’effervescence de Montparnasse, de l’extrême pauvreté au surgissement providentiel du pharmacien-mécène de Philadelphie, de Modigliani à l’Ecole de Paris, tout défile. Florence Noiville

LE BRUIT DU TEMPS

« Le Dernier Voyage de Soutine » (Soutines letzte Fahrt), de Ralph Dutli, traduit de l’allemand (Suisse) par Laure Bernardi, Le Bruit du temps, 272 p., 24 €.