Quelques heures après la publication de milliers de données techniques et confidentielles sur les sous-marins français Scorpène par le quotidien The Australian, l’Inde a ordonné, mercredi 24 août au matin, une enquête sur cette fuite massive. « J’ai demandé au commandant de la marine de découvrir ce qui avait fuité et l’étendue de ce qui nous concerne », a expliqué le ministre indien de la défense, Manohar Parrikar, qui a également suggéré qu’un piratage informatique pouvait être à l’origine de la fuite.

New Delhi s’est engagé à acquérir six Scorpène pour un montant de 3 milliards de dollars (2,7 milliards d’euros), dont le premier, en phase d’essai, doit être mis en service d’ici le début de 2017. L’accord signé avec le français DCNS prévoit leur construction dans un chantier naval de Bombay. Le pays, qui dispose d’une flotte d’insubmersibles vieillissante et sous-dimensionnée, a besoin de ces sous-marins pour rivaliser avec le Pakistan et faire face à la montée en puissance de la marine chinoise dans l’océan Indien.

Or, les fuites révèlent justement l’essentiel de leurs capacités de combat, au risque de les rendre inoffensifs : la furtivité, le système de communication, leurs capacités de plongée, ou encore des données sur les systèmes de combat et de lancement de torpilles. De quoi susciter l’inquiétude des autorités.

« Cela aurait pu être désastreux »

M. Parrikar n’a pas caché avoir été réveillé à minuit, mardi 23 août, par un appel téléphonique qui l’a informé de la fuite, comme pour souligner qu’il prenait l’affaire très au sérieux.

« La publication de ces 22 400 pages a sans doute fait gagner quelques années de travail aux services d’espionnage pakistanais et chinois, mais les documents publiés ne révèlent pas la signature sonore des sous-marins, ce qui aurait pu être désastreux », explique au Monde A. K. Singh, vice-amiral de la marine indienne à la retraite.

« Il faut être prudent »

La mention « restricted Scorpene India », visible sur les documents, minimise la portée stratégique des informations. Cette mention ne rentre même pas dans un des cinq niveaux de confidentialité employés par l’armée.

« Il faut être prudent, car on ne sait pas encore avec certitude si ces documents sont authentiques, ou s’ils ont été modifiés, explique Uday Bhaskar, ancien commodore de la marine indienne, mais c’est un choc de découvrir 22 400 pages de données détaillées sur un sous-marin. »

Selon The Australian, la DCNS aurait laissé entendre que la fuite pourrait venir d’Inde plutôt que de France, ce qui a suscité l’ire de commentateurs, qui débattaient de cette fuite massive sur les plateaux télévisés des chaînes indiennes d’information en continue.

« Réputations écornées »

Le ministère indien de la défense a précisé dans un court communiqué que la source de la fuite « provenait de l’étranger et non d’Inde ». Les données pourraient avoir été emportées hors de France en 2011 par un ex-officier de la marine française.

« La réputation de DCNS et, au-delà, celle de la France, risquent d’être écornées », affirme A. K. Singh.

Plusieurs unités de Scorpène ont aussi été achetées par la Malaisie et le Chili. Le Brésil doit, lui aussi, en déployer à partir de 2018. L’Australie, qui a octroyé, en avril, un contrat de 50 milliards de dollars australiens (33,8 milliards d’euros) au groupe DCNS pour concevoir et fabriquer sa prochaine génération de submersibles, a relativisé l’incidence de cette fuite. Elle n’a « aucun lien avec le prochain programme de sous-marins du gouvernement australien », a indiqué dans un communiqué le ministre australien de l’industrie de défense, Christopher Pyne.