Si la question turque reste posée, « pour éviter la rupture, le pari de la realpolitik doit être fait, explique Frédéric Charillon. Mais avec ses exigences et ses concessions, de part et d’autre » (Photo: de gauche à droite, le vice-président américain Joe Biden et le président Erdogan, le 24 août, à Ankara). | Kayhan Ozer / AP

Un peu plus d’un mois après le coup d’Etat raté en Turquie, les relations entre l’Occident et Ankara se durcissent sur fond d’autoritarisme du régime turc et aliment la méfiance au sein de l’Alliance Atlantique.

Pour le professeur de sciences politiques Frédéric Charillon, « la stabilité du pays, l’évolution de son armée et les orientations internationales de son exécutif constituent trois inconnues de taille face auxquelles il est pour l’heure difficile de manœuvrer, tant que la réflexion opposera intérêts stratégiques et valeurs politiques ». Mais il ne redoute pas le rapprochement de la Turquie avec la Russie, Ankara ayant déjà montré par le passé sa capacité à enchaîner « crises spectaculaires » et « rapprochements », comme avec Israël.

Si la question turque reste posée, « pour éviter la rupture, le pari de la realpolitik doit être fait, conclut Frédéric Charillon. Mais avec ses exigences et ses concessions, de part et d’autre », en particulier sur les dossiers internationaux concrets, comme la lutte contre l’organisation Etat islamique et la situation syrienne, ou sur le calendrier d’un retour au fonctionnement démocratique en Turquie.

Pour le chercheur Bayram Balci (CERI-Sciences Po), les « écarts de conduite » de la Turquie « sont décevants et regrettables », mais « ne constituent pas une volonté de rupture ».

« Les alliés de la Turquie oublient qu’elle partage une frontière de 900 kilomètres avec la Syrie en guerre, et que les criminels de l’EI, aussi honnis qu’ils soient par le pouvoir turc, se réclament, comme la majorité des Turcs, du sunnisme. Or Erdogan veut contenir la contagion djihadiste chez lui autant que nous, et il n’a pas intérêt à déclencher une opposition frontale aux djihadistes s’il ne veut pas amorcer la violence dans ses banlieues au prétexte qu’on lui intime de s’impliquer contre l’EI pour protéger les nôtres ».

Le chercheur souligne que « l’Occident, au nom de la lutte contre le terrorisme, n’hésite pas à aider le Parti de l’union démocratique (PYD) en Syrie. Ce faisant, il renforce indirectement le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), organisation séparatiste et terroriste », alors que « la Turquie constitue toujours la deuxième armée [de l’Alliance] par le nombre, et met à disposition sa base d’Incirlik, où sont stockées des armes nucléaires ».

A ce compte-là, « la Turquie a-t-elle encore besoin de l’OTAN ? »… Avant de conclure : « Déjà rejetée de l’Union européenne, la Turquie, exclue de l’OTAN, deviendra incontrôlable, mais son exclusion fragiliserait davantage encore l’Europe et l’Occident ».

A lire sur le sujet :

« En qualité de seul pays musulman de l’OTAN, la Turquie doit rester ce pivot de dialogue », par Bayram Balci, chercheur au Centre de recherches internationales-Sciences Po. Evoquer la dérive autoritaire de M. Erdogan pour justifier une exclusion de la Turquie de l’Alliance Atlantique est un argument fallacieux.

« La démocratie est devenue le baromètre des liens avec Ankara », par Frédéric Charillon, professeur de sciences politiques à l’université d’Auvergne, Paris-II, Sciences Po et l’ENA. La Turquie doit faire la preuve de sa relation avec l’OTAN sur des dossiers concrets, notamment dans la lutte contre l’organisation Etat islamique.