Marilyn Monroe dans le film américain d’Howard Hawks, « Les Hommes préfèrent les blondes » (« Gentlemen Prefer Blondes », 1953). | TWENTIETH CENTURY FOX

Après le tournage de Monkey Business (Chérie, je me sens rajeunir) en 1952, Howard Hawks devait encore un film à la Twentieth Century Fox. Darryl Zanuck, le patron du studio, lui proposa l’adaptation cinématographique d’un spectacle à succès de Broadway, lui-même transposé d’une pièce, elle-même tirée d’un roman d’Anita Loos paru en 1925. Hawks y voit l’occasion d’aborder un genre auquel il n’a pas encore touché : la comédie musicale.

La débutante Marilyn Monroe (qui avait eu droit à quelques séquences mémorables dans le précédent film de Hawks) côtoie celle qui était alors une star, Jane Russell, qu’Howard Hugues, qui régissait sa carrière, prêta à la Fox. Hawks est hésitant pourtant devant la réalisation des numéros musicaux dont il n’a pas l’habitude. Il en confie la mise en place au chorégraphe Jack Cole. L’immoralité du sujet (un des deux personnages féminins est une chercheuse d’or, en quête d’un homme fortuné), la pléthore de sous-entendus sexuels, la sensualité naturelle des deux actrices principales, obligent cinéaste et dialoguistes à jongler savamment avec le Breen Office, le bureau de la censure à Hollywood.

Jane Russell, prototype de la femelle phallique

Les Hommes préfèrent les blondes est-il une incongruité dans la carrière de l’auteur de Rio Bravo ? Certains continuent de le penser, convaincus que l’absence de familiarité du cinéaste avec le genre, le fait que ce soit une pure commande et qu’il n’ait pas dirigé certaines séquences, pourraient lui retirer cette qualité d’auteur dont l’a crédité une partie de la cinéphilie française des années 1950.

On trouve cette manière de burlesque construit sur l’inversion radicale qui caractérise l’art comique du réalisateur de « L’Impossible Monsieur Bébé »

On trouve pourtant dans Les Hommes préfèrent les blondes cette manière de burlesque construit sur l’inversion radicale qui caractérise alors si bien l’art comique du réalisateur de L’Impossible Monsieur Bébé. Cette inversion est, souvent, évidemment sexuelle. On ne voit pas seulement, furtivement, un personnage masculin enfiler une pièce de lingerie féminine. On y voit surtout Jane Russell, prototype de la femelle phallique, à la silhouette à la fois sexy et massive, s’ébattre entourée d’athlètes presque nus, bandant insolemment leurs muscles, durant une des séquences les plus mémorables du film, affolement général de l’identité sexuelle et d’une imagerie érotique qui a perdu la boussole. Le cinéma de Hawks s’est fondamentalement construit sur la dissolution d’un groupe masculin menacé par une femme, entraînant la tentation adolescente de refuser de quitter la communauté d’origine.

Euphorie purement libidinale

L’amour et la sexualité sont souvent, dans les films de Hawks, le prétexte à un réflexe régressif de pure défense, un quasi retour à l’enfance perceptible dans de nombreux titres jusque d’ailleurs dans le précédent opus hawksien, le bien nommé Chérie, je me sens rajeunir. Le personnage monstrueux du petit garçon milliardaire à la voix grave, incarné par George Winslow, affichant la maturité d’un homme sachant, comme il le dit, « apprécier la compagnie d’une belle femme » et déclarant à Lorelei (Marilyn Monroe) qu’elle a un fort magnétisme animal, ne représente-t-il pas l’irruption effrayante de la maturité sexuelle de la pulsion infantile ?

Mais sans doute, la force hawksienne ne s’incarne-t-elle pas autrement que dans ce sens du rythme, ce goût de la cadence exacte, dont Les Hommes préfèrent les blondes témoigne exemplairement, un rythme et une cadence au service d’une euphorie purement libidinale. Il n’y a aucune justification à trouver la raison, la morale ou la motivation psychologique des comportements des personnages (un duo de femmes en quête d’hommes fortunés ou de pures machines sexuelles). Cette « évidence » (terme employé par Jacques Rivette dans un article des Cahiers du cinéma à propos de l’auteur de Scarface) est l’aveu d’une simple et stoïcienne acceptation de ce qui est. Que ce stoïcisme s’affirme dans un film aux apparences d’une comédie musicale mineure prouve bien, s’il le fallait, le génie de Howard Hawks.

Les hommes préfèrent les blondes
Durée : 02:28

Film américain d’Howard Hawks (1953) avec Marilyn Monroe, Jane Russell, Charles Coburn (1 h 28). Sur le Web : theatredutemple.com