Dilma Rousseff lors d’une conférence de presse, le 18 août. | Eraldo Peres / AP

Editorial. Première femme présidente du Brésil, Dilma Rousseff vit ses derniers jours au sommet de l’Etat. L’issue de son procès en destitution, ouvert jeudi 25 août au Sénat, ne fait guère de doute. A moins d’un coup de théâtre, la dauphine du bien-aimé président Lula (2003-2010), suspendue de ses fonctions en mai, sera définitivement chassée du pouvoir le 30 ou le 31 août.

Dilma Rousseff a commis des erreurs politiques, économiques et tactiques. Mais son éviction, motivée par des acrobaties comptables auxquelles elle s’est livrée comme bien d’autres présidents, ne passera pas à la postérité comme un épisode glorieux de la jeune démocratie brésilienne.

Pour décrire le processus en cours, ses partisans évoquent un « crime parfait ». L’impeachment, prévu dans la Constitution brésilienne, a tous les atours de la légitimité. Personne, de fait, n’est venu déloger Dilma Rousseff, réélue en 2014, par la force des baïonnettes. L’ancienne guerrillera a elle-même usé de tous les recours légaux pour se défendre, en vain. Impopulaire et malhabile, Dilma Rousseff s’estime victime d’un « coup d’Etat » fomenté par ses adversaires, par les médias, et en particulier par la télévision Globo, aux ordres d’une élite économique soucieuse de préserver ses intérêts prétendument menacés par la soif d’égalitarisme de son parti, le Parti des travailleurs (PT).

La bête noire d’une partie des Brésiliens

Cette guerre au sommet s’est déroulée sur fond de révolte sociale. Après les « années bonheur » de prospérité économique, d’avancées sociales et de recul de la pauvreté sous les deux mandats de Lula, est venu, dès 2013, le temps des revendications citoyennes. L’accès à la consommation, l’organisation de la Coupe du monde puis des Jeux olympiques n’étaient plus de nature à combler le « peuple ». Il voulait davantage que « du pain et des jeux » : des écoles, des hôpitaux, une police fiable.

Le scandale de corruption à grande échelle lié au groupe pétrolier Petrobras a achevé de scandaliser un pays malmené par une crise économique sans précédent. En plein désarroi, une partie des Brésiliens ont fait du juge Sergio Moro, chargé de l’opération « Lava Jato » (« lavage express »), leur héros, et de la présidente leur bête noire.

L’ironie veut que si la corruption a fait descendre des millions de Brésiliens dans les rues ces derniers mois, ce n’est pas à cause d’elle que tombera Dilma Rousseff. Pire : les artisans de sa chute ne sont pas eux-mêmes des enfants de chœur. L’homme qui a lancé la procédure de destitution, Eduardo Cunha, ancien président de la Chambre des députés, est accusé de corruption et de blanchiment d’argent. La présidente du Brésil est jugée par un Sénat dont un tiers des élus font, selon le site Congresso em Foco, l’objet de poursuites criminelles. Elle sera remplacée par son vice-président, Michel Temer, pourtant censé être inéligible pendant huit ans pour avoir dépassé la limite autorisée de frais de campagne.

Le bras droit de M. Temer, Romero Juca, ancien ministre de la planification du gouvernement intérimaire, a été confondu en mai par une écoute téléphonique datée du mois de mars dans laquelle il réclamait explicitement un « changement de gouvernement » pour barrer la route de l’opération judiciaire « Lava Jato ». S’il n’y a pas coup d’Etat, il y a au moins tromperie. Et les vraies victimes de cette tragi-comédie politique sont, malheureusement, les Brésiliens.