La Commission européenne s’apprête à infliger à Apple la plus lourde sanction fiscale de toute l’histoire du Vieux Continent. | MARK LENNIHAN / AP

On associe trop injustement le paradis fiscal à la chaleur enveloppante de plages de cocotiers quelque part sous les tropiques. Très loin des îles Vierges et des Bermudes, l’Irlande, ses lacs et ses vertes collines est aussi un havre de paix et de sérénité pour les entreprises du monde entier soucieuses de protéger le fruit de leurs efforts industriels et commerciaux. Apple en a été l’un des premiers convaincus, tombé sous le charme de l’île celtique il y a plus de vingt ans. Bien lui en a pris. En dix ans, il n’a payé que 4 % d’impôt sur les quelque 200 milliards de dollars (179 milliards d’euros) de profits accumulés sur place. Ce qui irrite fortement la Commission européenne, qui s’apprête à infliger à Apple la plus lourde sanction fiscale de toute l’histoire du Vieux Continent.

La somme est extravagante. Elle représente près de 90 % de la totalité de l’argent gagné par l’entreprise américaine hors de ses frontières. Judicieusement, l’inventeur de l’iPhone a logé dans ses filiales irlandaises les droits de propriété intellectuelle de ses smartphones, Mac et autres montres connectées qu’il vend en dehors des Etats-Unis. Ainsi, au lieu d’enregistrer des profits, ses filiales étrangères versent de confortables royalties au siège irlandais. Avec deux avantages : échapper aux taxes de 25 % à 30 % applicables dans la plupart des pays, notamment en Europe, et éviter de rapatrier aux Etats-Unis des profits qui seraient, là encore, lourdement taxés.

Distorsions de concurrence

La tactique est largement connue et disséquée dans tous les journaux et écoles de commerce dans le monde. Elle participe d’une concurrence fiscale sur laquelle jouent allègrement toutes les multinationales. Dans une lettre publiée ce lundi 30 août dans les quotidiens néerlandais, l’association des directeurs financiers de la Silicon Valley (Google, Apple, Facebook…) enjoignait les Pays Bas, nation également très accueillante pour les groupes étrangers, de suivre l’exemple irlandais et d’abandonner toute velléité de modifier son régime fiscal. Ce qui, selon eux, serait fortement préjudiciable à l’investissement et donc à l’emploi.

D’ailleurs, Bruxelles ne condamne par la concurrence fiscale entre Etats membres, des 12,5 % irlandais aux 33 % français. En revanche, elle ne supporte pas les distorsions de concurrence. Ce qui la chiffonne, dans le cas Apple, c’est que l’entreprise ait conclu un accord dérogatoire avec les autorités pour ne payer que 1 % à 4 % d’impôt au lieu du taux officiel. Et cela peut s’assimiler à une aide d’Etat.

Face à l’inventivité exceptionnelle déployée par les grandes entreprises et leurs milliers d’avocats pour échapper aux règles communes, les Etats doivent réagir pour protéger leur source de revenus. Et Washington a beau s’insurger contre le mauvais coup porté à son champion, il ne se prive pas, chez lui, de manier le bâton face aux amateurs de paradis.