La présidente brésilienne Dilma Rousseff, lors de sa prise de parole devant le Sénat dans le cadre de son procès en destitution, le 29 août à Brasilia. | EVARISTO SA / AFP

La tête haute et le doigt levé, professorale, orgueilleuse et solide, Dilma Rousseff s’est adressé les « yeux dans les yeux » à ses juges, refusant le « silence obséquieux des lâches ». Lundi 29 août, la présidente brésilienne, éloignée du pouvoir depuis le 12 mai, accusée de fraude comptable et menacée d’« impeachment » (destitution), se défendait devant les 81 sénateurs de Brasilia.

Les parlementaires doivent se prononcer, entre mardi 30 et mercredi 31 août pour ou contre sa destitution. Un tiers des votes est nécessaire pour permettre à la dauphine de Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010), réélue en 2014, de reprendre ses fonctions. Mais à écouter les analystes, ses chances sont maigres. Voire inexistantes.

C’est donc « avec le goût amer de l’injustice », que la première présidente de la démocratie brésilienne a présenté son procès comme une « conspiration » menée par les élites économiques aidées de médias complaisants. Un « coup d’Etat » a-t-elle répété, visant à chasser du pouvoir une femme, une mère et une grand-mère, « innocente » à l’aide de « prétextes constitutionnels ».

A ceux qui dénoncent une gestion calamiteuse du pays la présidente plaide non coupable, rejetant la responsabilité sur une crise économique mondiale à l’origine de l’accroissement spectaculaire du déficit et de la dette publics. Pour sa défense, la sexagénaire convoque son histoire, celle d’une guérillera acharnée contre la dictature (1964-1985) le corps marqué par les séquelles de la torture, et l’Histoire, la grande, celle du Brésil, n’hésitant pas évoquer entre autres figures celle de João Goulart, président renversé par la junte militaire en 1964.

« Par le passé avec les armes, aujourd’hui avec une rhétorique juridique, on prétend de nouveau s’attaquer à la démocratie contre l’Etat de droit. »

« Elle a conscience que tout est fini »

Un ton martial évitant à dessein d’entrer dans le détail technique de son accusation. Une représentation presque théâtrale visant davantage à soigner sa biographie prenant à témoin l’opinion publique plutôt qu’à renverser le destin. Selon ses proches, Dilma Rousseff, prise d’un fou rire nerveux lors de sa prestation, serait elle-même soulagée d’en finir. Dans les tribunes, Lula, la mine abattue, accompagné du chanteur, compositeur et écrivain Chico Buarque et de quelques caciques du Parti des travailleurs (PT, gauche), n’ont guère plus d’espoirs. « C’est fait », admet un proche de l’ancien chef de l’Etat.

Jamais, la présidente n’aura évoqué dans son discour le nom de celui qui fit, par deux fois, campagne à ses côtés et pourrait devenir dans quelques heures le nouveau chef d’Etat du Brésil jusqu’aux prochaines élections de 2018. Celui qu’elle a plusieurs fois qualifié de traître et de comploteur : Michel Temer, du parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB, centre).

« La teneur de son discours montre qu’elle a conscience que tout est fini. Le PT fait un film avec des références à 1964, mais la société civile sait que ce n’est pas vrai », affirme Kim Kataguiri, à la tête du mouvement Brésil libre, groupement ultralibéral qui fut l’une des grands architectes des manifestations pro-impeachment motivées à l’origine par les scandales de corruption éclaboussant le monde politique, dont le PT et le PMDB. Invité au Sénat pour assister à la défense de Dilma Rousseff, le jeune homme n’est guère enthousiasmé par Michel Temer mais est soulagé de voir le PT quitter le pouvoir après 13 années à Brasilia. « Regardez qui est venu soutenir Dilma… », persifle-t-il, évoquant les soupçons de corruption planant sur Lula et d’autres cadres du PT.

« Il y a encore un espoir, il faut lutter »

Sur la pelouse quasi déserte de l’esplanade des ministères, seule une petite poignée de militants de gauche pour soutenir la présidente – officieusement lâchée par son parti, le PT, davantage préoccupé de se reconstruire avant la prochaine présidentielle de 2018 que de sauver une chef d’Etat historiquement impopulaire. Parmi ces fidèles de Dilma, Edileusa Sique Oliveira professeure d’histoire d’une petite ville de l’Etat de Goias qui refuse de baisser les armes. « Il y a encore un espoir, il faut lutter », dit-elle écoutant d’une oreille distraite son voisin, Mario Bianchini retraité, ancien chercheur en physique, venu de Belo Horizonte, persuadé de l’existence d’un complot ourdi par les Etats-Unis, la CIA et l’Agence nationale de la sécurité américaine (NSA).

Lassés par des mois de bataille, les Brésiliens ont en grande partie abandonné la lutte pour ou contre l’impeachment tandis qu’une partie des sénateurs semblent désormais convaincus qu’il est préférable d’interrompre ce second mandat marqué par une crise économique sans précédant et par l’opération « Lava Jato » qui a mis au jour un système de pots-de-vin lié au groupe public Petrobras arrosant les partis politiques de tout bord. Il semble urgent de tourner la page quand bien même ce scandale plane aussi sur les adversaires de Dilma Rousseff.

Mettre fin au « modèle d’une vieille gauche »

« Dans quelle mesure votre excellence et votre gouvernement se sentent sincèrement responsables de cette récession, des 12 millions de chômeurs au Brésil, des 60 millions de Brésiliens dont les factures sont en retard et une perte moyenne de 5 % du revenu des travailleurs brésiliens ? », a ainsi lancé, vengeur, Aecio Neves, adversaire malheureux de la présidente lors des élections de 2014 pour le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB) cité dans « Lava Jato ». Une élection n’est pas un « chèque en blanc. Vous avez trahi le peuple », a aussi accusé Ricardo Ferraço (PSDB). « Vous avez vendu un Brésil irréel », a enchéri Simone Tebet (PMDB).

L’évocation d’un « coup d’Etat » et d’une rupture démocratique met pourtant mal à l’aise une partie des parlementaires. Le sénateur Cristovam Buarque, du Parti populaire socialiste (PPS), confie avoir peur du « tampon » de putschiste que ses électeurs seront tentés de coller sur son front. Malgré tout, il votera pour l’impeachment. « Si Dilma s’en va, elle sera João Goulart, si elle reste, elle sera Nicolas Maduro », le président du Venezuela, dit-il. « Une métaphore » qui témoigne de sa déception vis-à-vis d’une gauche devenue « arrogante » qui refuse de reconnaître ses erreurs. « Dilma Rousseff, enrage-t-il, a fait un discours à la Fidel Castro : l’histoire m’acquittera. » En mettant fin à son mandat, le sénateur compte destituer non seulement une présidente mais aussi le « modèle d’une vieille gauche » qu’il juge urgent de renouveler.

Il régnait ainsi un parfum de nostalgie dans l’hémicycle. Celui du désenchantement d’une partie de la gauche. Dilma Rousseff, elle-même, associe son départ à la fermeture d’une parenthèse ouverte en 2003 avec l’élection de Lula. Un ancien métallo devenu l’icône du peuple qui a contribué à transformer le pays en sortant de la misère des millions de Brésiliens. Avec sa destitution, alerte la présidente, sont menacées ces avancées sociales. Pour beaucoup, toutefois, les rêves associés au PT ont pris fin depuis des mois, voire des années.