Dans « Nocturama », Bertrand Bonello filme des jeunes désespérés qui basculent dans le terrorisme. | Wild Bunch Distribution

La scène intervient au milieu de Nocturama. Un soir, après avoir perpétré une série d’attentats à Paris, un groupe de jeunes terroristes, traqué par la police, se retranche dans les rayons déserts de La Samaritaine. Au sous-sol, l’un des types de la bande branche son lecteur MP3 sur d’immenses enceintes. La musique résonne bientôt dans tout le grand magasin : une basse lourde, tranchante, une mélodie répétitive, hypnotique, sur laquelle un rappeur chante des histoires de prison, de dopes et d’amours trompées. C’est I Don’t Like, de Chief Keef featuring Lil Reese, l’un des plus beaux morceaux de trap – un courant froid du hip-hop –, qui sert d’hymne rageur au film de Bertrand Bonello.

Chief Keef - I Don't Like ft. Lil Reese
Durée : 04:34

Pourquoi cette chanson en particulier ? « Je l’ai découverte un soir, j’ai d’abord été fasciné par le clip : ces jeunes mecs torses nus qui dansent dans une chambre en fumant du crack, quasiment en transe…, explique le cinéaste. Et puis il y a une puissance, une force dingue dans cette musique, avec ses paroles sombres, ses boucles lancinantes. »

Autour du jeune héros de Chicago Chief Keef, Bertrand Bonello a choisi d’autres morceaux de rap pour composer la BO de son film. Il y a le tube underground Champs-Elysées, des Français Bonnie Banane, le refrain Why Don’t You Cry de Willow Smith et même un track hip-hop original écrit par le réalisateur, musicien de formation.

D’ordinaire ancré dans la soul ou le rock, Bonello a privilégié le rap pour « ses textures » et « ses rythmes mélancoliques », illustrant bien l’état d’esprit des antihéros de Nocturama, des jeunes nihilistes qui font le mal sans conviction. « Je ne voulais surtout pas utiliser du hip-hop politique et contestataire, façon Keny Arkana, précise le réalisateur. Ça aurait été beaucoup trop simple, on y aurait vu un lien artificiel avec les agissements des personnages. Le rap que j’utilise est certes violent, mais différemment. Chief Keef, c’est l’incarnation d’une forme de hip-hop plus moderne, un truc dark, dépressif, intérieur, qui n’a rien à voir avec le rap revendicateur du passé. »

Voilà au fond ce que met en scène Bertrand Bonello : une jeunesse fracassée, sans repères ni horizon, qui trouve dans les pulsations taciturnes du rap contemporain l’expression de son mal indéfini.

« Nocturama » (2 h 10), de Bertrand Bonello, avec Finnegan Oldfield, Vincent Rottiers. en salles le 31 août.

Par Romain Blondeau