Contraste... Allégorie d'un autre burkini. Celui d'une jeune femme musulmane ne souhaitant pas montrer son visage mais qui porte un bikini très seyant. Elle vient en vacances à Nice et rend visite à sa soeur qui y vit régulièrement. | Eleonora Strano/HANS LUCAS POUR

Alors que le Conseil d’Etat a annulé les décisions d’interdiction du burkini sur les plages, la polémique fait rage, posant la question de la place des signes religieux dans la société française, de la liberté de conscience, de l’égalité entre hommes et femmes, de la stigmatisation des musulmans, de leur discrimination et dépasse les frontières de l’Hexagone.

La sociologue Nathalie Heinich constate que « la culture de gauche [est] déchirée, depuis les premiers débats sur le voile islamique, par les tensions entre antiracisme et féminisme ».

Pour elle, « les fidèles des causes post-soixante-huitardes, en plaquant des schémas valables naguère, deviennent les premiers fossoyeurs des valeurs qu’ils croient défendre. Exactement comme les pacifistes des années 1930 qui, traumatisés par la guerre de 1914-1918, préférèrent fermer les yeux sur le danger nazi plutôt que de renier leur cause – au risque de perdre, on l’a vu, bien plus que la paix ».

« L’interdiction des signes religieux les plus extrêmes – la burqa dans les rues, le burkini sur les plages » est « un combat politique contre une manipulation de la religion à des fins d’ordre sexuel, moral, juridique, civique, voire guerrier ».

« Prôner l’interdiction du burkini, ce n’est pas être islamophobe : c’est se battre contre une minorité de musulmans qui prétend imposer dans l’espace public une conception extrémiste et totalitaire de l’islam ».

Nathalie Heinich s’oppose à Alain Christnacht, conseiller d’Etat honoraire, membre de l’Observatoire de la laïcité, pour qui la décision du Conseil d’Etat est l’occasion de rappeler les principes fondamentaux de la laïcité française : « la liberté de conscience, constitutionnellement garantie, est celle de ne pas croire ou de croire, et donc aussi d’exprimer ses convictions religieuses ».

D’ailleurs, la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales proclame aussi, dans son article 9, que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion », que « ce droit implique (…) la liberté de manifester sa religion individuellement ou collectivement, en public ou en privé » et que la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet que de restrictions limitées, par la loi, pour la sécurité, la santé, la morale ou l’ordre publics ou « la protection des droits et libertés d’autrui ».

Et si la laïcité de la République implique la neutralité religieuse des agents publics qui ne peuvent exprimer par des signes vestimentaires leurs convictions, au contraire, les usagers des services publics le peuvent.

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Burkini : le Conseil d’Etat a insisté sur la liberté de conscience, par Alain Christnacht, conseiller d’Etat honoraire, membre de l’Observatoire de la laïcité. A l’exception des lois de 2004 sur le voile et de 2010 sur la burqa, les usagers des services publics peuvent exprimer leur conviction religieuse par des signes vestimentaires.

Il faut combattre le prosélytisme extrémiste et le sexisme, par Nathalie Heinich, sociologue. Le burkini n’est pas une question religieuse, mais politique. Le Conseil d’Etat aurait dû valider les arrêtés en vertu de la légitime limitation du droit à la liberté d’expression,

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Les arrêtés anti-burkini pris en France favorisent la « stigmatisation » des musulmans, selon l’ONU. Le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme estime que l’interdiction de cette tenue « tend à alimenter l’intolérance religieuse ».

« Burkini » : le Conseil d’Etat s’en est tenu à la loi, par Bertrand Mathieu, professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne Université Paris-I et ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature. Contrairement aux affaires du « lancer de nain » en 1995 et de « Dieudonné » en 2014, le Conseil d’Etat n’a pas retenu dans la polémique les atteintes au respect de la dignité humaine, estime le juriste.

L’ordonnance du 26 août sur le burkini ne règle rien, par Serge Sur, professeur émérite en droit public à l’université Paris-II Panthéon-Assas. Il est inexact de dire que la décision du Conseil d’Etat « fait jurisprudence ». Il reviendra au Parlement de trancher, rappelle le professeur émérite en droit public.

Pourquoi voter une loi contre le « burkini » serait compliqué, par Adrien Sénécat. Après la décision du Conseil d’Etat contre les arrêtés « anti-burkini », une partie de la classe politique réclame une loi. Encore faut-il savoir laquelle.

Burkini en France, bikini au Maroc : même combat !, par Hamidou Anne (chroniqueur Le Monde Afrique, Dakar). Pour notre chroniqueur, l’obligation faite aux musulmanes de se dévoiler sur les plages françaises et de se voiler au Maroc est une même atteinte à leur liberté.

Burkini : une victoire de l’Etat de droit (« Editorial »). La décision du Conseil d’Etat, qui a fait triompher les libertés fondamentales, fournit une occasion salutaire de mettre un terme à une polémique trop souvent exploitée avec des arrière-pensées électorales.

Arrêté « anti-burkini » : la décision du Conseil d’Etat « est une leçon de droit sur la notion d’ordre public », entretien avec Stéphanie Hennette-Vauchez, directrice du Crédof. « La notion des bornes de l’ordre public est cruciale du point de vue de la préservation des droits et des libertés », propos recueillis par Camille Sellier.

Arrêtés « anti-burkini » : « On ne peut pas retirer les humiliations provoquées », selon Marwan Muhammad. Le président du Collectif contre l’islamophobie en France salue la décision du Conseil d’Etat.

– Entretien avec Stéphanie Hennette-Vauchez. Arrêté anti-burkini : « Ce jugement menace la liberté de tous », propos recueillis par Camille Sellier. La juriste analyse les éventuelles conséquences des interdictions décidées par plusieurs maires.