La Chine veut devenir la troisième puissance mondiale dans l’aéronautique derrière l’Europe et les Etats-Unis. Pékin a ainsi annoncé, dimanche 28 août, la mise en œuvre d’Aero Engine Corporation of China (AECC). Une nouvelle entité qui rassemble plusieurs sociétés étatiques jusqu’ici dispersées afin de créer un champion de l’aéronautique. Un spécialiste des moteurs. En fait, pointe un professionnel bon connaisseur de l’aéronautique chinoise, le lancement d’AECC n’est pas une nouveauté. Selon lui, le nouveau motoriste a été créé il y a déjà quelques temps mais il vient juste d’obtenir sa « business licence ». Indispensable pour démarrer son activité.

Avec AECC, Pékin crée « un General Electric ou un Safran chinois », pointe notre spécialiste. L’américain et le français sont les deux principaux motoristes mondiaux avec le britannique Rolls-Royce et l’autre américain Pratt & Whitney. Pour preuve de cette volonté de montée en puissance, le président chinois Xi Jinping a qualifié le lancement d’AECC de « mouvement stratégique ».

L’objectif de Pékin est de « s’organiser pour concentrer les financements et le management afin de produire d’abord des moteurs militaires ». Une première étape obligatoire avant de passer à l’aviation commerciale car « préparer le militaire c’est préparer le civil », indique le professionnel du secteur. Aujourd’hui, la Chine est un nain dans le domaine des moteurs. Sa seule production, fondée sur des dérivés de moteurs russes, est uniquement destinée à son aviation militaire. « Il n’y a rien pour l’aviation commerciale », commente un spécialiste car « le moteur est la partie la plus difficile à faire dans un avion ». C’est aussi la plus chère et l’une des plus rentables : au moins 15 % du prix d’un appareil et l’on considère qu’un moteur rapporte au moins deux fois son prix de vente à son fabricant pendant toute sa durée d’exploitation.

La Chine est loin de rattraper son retard

La création d’AECC est le deuxième mouvement de la Chine pour devenir à long terme un poids lourd de l’aéronautique mondiale. Avant de s’intéresser aux moteurs, Pékin avait déjà créé Comac destiné à être son champion dans le secteur des constructeurs d’avions. Un futur rival pour Airbus et Boeing. En pratique, la Chine a complètement changé son fusil d’épaule ces dernières années. Elle a démantelé AVIC, une société étatique géante qui regroupait tous les métiers de l’aéronautique, de la construction d’avions jusqu’à la production de moteurs. Cette entité tentaculaire s’est révélée trop grosse, trop lourde à manœuvrer. Désormais, Pékin a choisi de copier le modèle, notamment européen. Comac se veut ainsi l’Airbus chinois tandis qu’AECC se lance sur les traces Safran. Pour ses débuts, le motoriste rassemble près de 100 000 salariés et est doté d’un capital d’environ 6,7 milliards d’euros.

Cette démarche a déjà commencé à porter ses fruits. L’avion régional AR21 sorti des chaînes de Comac « vole trois fois par semaine », reconnaît le spécialiste du secteur. Mieux, le C919, un moyen-courrier, futur concurrent de l’Airbus A320 et du Boeing 737, « avance vite » malgré ses deux ans de retard. Chez Comac, les équipes travaillent « jour et nuit pour assurer le premier vol du C919 avant la fin de 2016 ». Contrairement aux idées reçues, les avions chinois, produits par Comac, seraient « technologiquement très équivalents à l’A320 Neo et aux 737 Max », les derniers-nés des moyen-courriers d’Airbus et de Boeing. En revanche, faute d’expérience, leur fiabilité, leur taux de pannes, sont bien moins bons que ceux des productions américaines ou européennes. Trop mauvais pour intéresser les compagnies aériennes. Notamment les low cost qui ont fait de leur ponctualité un élément clef de leur business modèle.

La Chine est très loin de rattraper son retard. Airbus et Boeing n’ont pas à s’inquiéter. Dans ses projections les plus folles, Comac vise « 30 % » du marché chinois d’ici vingt ans. Mais « Comac deviendra le troisième constructeur mondial derrière Airbus et Boeing. C’est inévitable », prévoit un professionnel. A cette échéance, toutefois, la Chine devrait toujours avoir un avion de retard car d’ici là « Airbus et Boeing ne vont pas s’endormir sur leurs lauriers ». Côté moteurs, où Pékin a vingt ans de retard, la montée en puissance sera encore plus lente. Pas avant 20 à 30 ans, espère-t-on chez les motoristes. Ces derniers prennent d’ailleurs bien soin de ne pas effectuer de transferts de technologies pour ne pas accélérer le mouvement. Safran, dont le moteur Leap équipe aussi le C919, fabrique des composants en Chine, mais n’y produit « aucune partie sensible ni high-tech ».