Une femme se protège des gaz lacrymogènes tirés par les forces de l’ordre contre des opposants à Ali Bongo, à Libreville, le 31 août. | MARCO LONGARI / AFP

L’élection présidentielle au Gabon a pris un tour dramatique dans la nuit de mercredi 31 août au jeudi 1er septembre, quelques heures seulement après l’annonce de l’élection du président sortant Ali Bongo Ondimba.

A Libreville, la capitale, le quartier général de campagne du candidat de l’opposition Jean Ping, qui revendiquait la victoire depuis plusieurs jours, a été pris d’assaut par des bérets verts de la garde républicaine. L’attaque conduite dans le quartier des Charbonnages aurait duré plusieurs heures au milieu de la nuit alors que de nombreux militants s’y trouvaient ainsi que plusieurs responsables politiques. « Ils ont bombardé par hélicoptères, puis ont attaqué au sol », a déclaré Jean Ping qui affirme qu’au moins deux personnes ont été tuées et dix-neuf ont été blessées, dont certaines très gravement.

« Jean Ping, c’est dosé »

Le porte-parole du gouvernement, Alain-Claude Bilie By Nzé a justifié cette opération qui visait « les criminels » qui avaient partiellement incendié l’Assemblée nationale quelques heures auparavant. Arnauld Engandji, le porte-parole d’Ali Bongo Ondimba, ajoute que « la contestation et les mouvements de la nuit étaient prévus depuis longtemps. M. Ping et les siens sont dans une logique de déstabilisation et de prise de pouvoir par la rue plutôt que par les élections. »

Les premiers incidents avaient éclaté en milieu d’après-midi, dès l’annonce de la réélection d’Ali Bongo Ondimba pour un deuxième mandat de sept ans. Dans une capitale quadrillée depuis 48 heures par les forces de sécurité gabonaises, quelques centaines de militants de l’opposition ont alors décidé de marcher vers le carrefour de la Démocratie, haut lieu de contestation sociale. Aux cris d’« Ali doit partir ! » ou « Jean Ping, c’est dosé ! » – comprendre « Jean Ping a gagné » –, ils ne sont pas allés bien loin sur la voie express qui surplombe le quartier général de l’opposition. Les deux cents policiers antiémeute déployés sur les lieux les ont dispersés à coups de gaz lacrymogène, de bombes assourdissantes et de canons à eau chaude. Des blessés par balle ont également été constatés.

Rideaux de fer

Depuis le scrutin, la ville vit comme en état d’urgence. Les rues se vident dès le début de l’après-midi, les magasins tirent leur rideau de fer. La population se terre chez elle alors que les services de sécurité renforcent leur présence aux carrefours : transports de troupes, blindés légers, patrouilles à pied de militaires armés, survol d’hélicoptères…

Mercredi, ce calme pesant a été rompu. Outre au siège de Jean Ping, des violences localisées et des pillages étaient relevés dans d’autres quartiers populaires. Des jeunes dressaient des barrages improvisés. De petits groupes tentaient d’attaquer la télévision publique et l’Assemblée nationale d’où s’élevait dans la soirée un panache de fumée. Des témoins joints par téléphone rapportaient également des violences à Port-Gentil, la capitale économique de ce petit Etat pétrolier d’Afrique centrale.

Des hélicoptères survolent l’Assemblée nationale d’où s’élève un panache de fumée, à Libreville, le 31 août. | MARCO LONGARI / AFP

Quelques minutes auparavant, le ministère de l’intérieur, sur la base des chiffres compilés par la Commission électorale nationale autonome et permanente (Cenap) avait proclamé une victoire à l’arraché du président sortant – 49,8 % contre 48,23 % en faveur de Jean Ping –, provoquant la fureur de l’opposition. A l’instar de Casimir Oyé Mba, ancien premier ministre d’Ali Bongo Ondimba (57 ans) rallié depuis peu à Jean Ping (73 ans), qui dénonçait un « traficotage éhonté » des résultats.

L’objet de la colère se portait tout particulièrement sur les chiffres « surréalistes, incohérents et suspects », selon Casimir Oyé Mba, en provenance du Haut-Ogooué, cette province coincée dans le sud-est où le taux de participation aurait atteint des sommets : 99,93 %, contre 59,4 % au niveau national. Et 95,46 % des électeurs auraient voté Ali Bongo Ondimba.

Décompte miraculeux

Certes, le Haut-Ogooué est le fief des Bongo et de leur communauté Téké. Cela compte, en termes de voix et d’électorat captif. Mais le résultat publié par la Cenap signifie aussi que seulement 50 personnes ne seraient pas allées voter sur les 71 714 électeurs inscrits dans cette province. « Cela ne fait pas beaucoup de morts, pas beaucoup de malades, pas beaucoup d’absents… Il doit y avoir là-bas un climat spécial », ironisait alors Jean-Gaspard Ntoutoume-Ayi, le porte-parole de Jean Ping, ex-cacique du régime d’Omar Bongo Ondimba et ancien compagnon de la sœur d’Ali avant que les rapports tournent à l’affrontement ouvert entre ces deux hommes issus d’un même système.

Ce décompte miraculeux a fait opportunément pencher la balance du côté du candidat du pouvoir. Grâce à la magie du Haut-Ogooué, l’une des neuf provinces gabonaises, la dernière à avoir envoyé ses procès-verbaux à Libreville, Ali Bongo Ondimba a rattrapé les 60 000 voix de retard accumulées dans les huit autres provinces – jusqu’à dépasser Jean Ping de quelque 5 594 voix sur les 650 000 électeurs inscrits. Dénonçant une grossière manipulation et une « mascarade », les représentants de l’opposition au sein de la commission électorale avaient claqué la porte de la séance plénière, point final du processus avant la proclamation officielle du résultat.

En 2009 déjà, l’élection controversée du fils d’Omar Bongo Ondimba, qui dirigea le pays pendant quarante et un ans jusqu’à sa mort, avait dégénéré en émeutes et pillages à Libreville. Puis Port-Gentil s’était embrasée, provoquant la mort de plusieurs personnes. Le calme était revenu, mais jamais la confiance envers « l’héritier ».

« J’ai peur que le grabuge continue »

Le sentiment de méfiance semble aujourd’hui habiter les autorités françaises. Alors que l’élection de 2009 ne fit l’objet d’aucune réserve, le scrutin de cette année a provoqué une réaction critique quasi-immédiate de Paris, envers ce pays qui fut, au temps d’Omar Bongo Ondimba, l’un des pivots des relations entre la France et l’Afrique. Avant les graves incidents de la nuit, le ministre des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, estimait que « les conditions de l’annonce des résultats de l’élection présidentielle au Gabon sont une source de préoccupation (…). La France réitère son souci de transparence. Nous estimons nécessaire que les résultats de tous les bureaux de vote soient publiés ». Un peu plus tôt, la chef de la diplomatie de l’Union européenne, Federica Mogherini, avait aussi appelé à « publier les résultats par bureau de vote » et non au niveau national.

C’est ce que l’opposition demandait, en vain. Défiante à l’égard d’une commission électorale qu’elle jugeait partiale, elle ne nourrit guère plus d’espoir vis-à-vis de la Cour constitutionnelle chargée d’arbitrer les contentieux électoraux. Dans la soirée, Casimir Oyé Mba exprimait ainsi son embarras : « Nous sommes devant un mur, j’ai peur que le grabuge continue. » Les événements de la nuit risquent bien de lui donner raison. Jeudi matin, le boulevard Triomphal, l’une des principales artères de la capitale, était parsemé de carcasses de voitures brûlées et des blessés étaient débarqués par les forces de l’ordre dans une clinique de Libreville.