En une quarantaine d’années, la Nouvelle-Zélande s’est imposée sur le secteur des produits laitiers. | Nick Perry / AP

A quelque 19 000 kilomètres des barrages levés en Mayenne par les producteurs de lait français dans leur combat contre le géant agroalimentaire Lactalis, la saison du vêlage bat son plein dans la région de Waikato, cœur de la production laitière de la Nouvelle Zélande. Tom Avery, 44 ans, s’affaire à donner naissance à la prochaine génération de veaux qui satisfera l’appétit du continent asiatique en produits laitiers.

Dans son intense activité maïeutique, à peine Tom Avery, à la tête d’un cheptel de 334 Holstein, a-t-il eu le temps de saluer l’annonce, fin août, du groupe néo-zélandais Fonterra, premier exportateur mondial de lait. La coopérative, qui collecte 92 % de la production laitière du pays, paiera 50 centimes de dollars néo-zélandais de plus le kilo de matière sèche pour la saison 2016-2017, soit une hausse de près de 11 %. En moyenne, « le paiement touché par les éleveurs devrait s’établir entre 5,25 et 5,35 dollars NZ (3,42 et 3,49 euros) avant retenues », précise le groupe.

Après deux années de vache maigre dues à un effondrement des cours, « c’est un coup de pouce bienvenu », estime Tom Avery, qui évalue son seuil de rentabilité à 5 dollars NZ du kilo de matière sèche (3,24 euros), et la hausse de son chiffre d’affaires à environ 60 000 dollars NZ (38 988 euros). Une rallonge que ne bouderaient pas les 63 000 éleveurs français qui se sont battus ces dernières semaines pour arracher un « juste prix » du litre de lait.

La laiterie « low-cost » du monde

Si on reste très loin du record de 8,40 dollars NZ (4,80 euros) le kilo atteint en 2013, les éleveurs néo-zélandais sont les premiers à bénéficier d’une timide reprise mondiale, après deux saisons marquées par une offre trop abondante, exacerbée notamment par la fin des quotas laitiers en Europe, l’embargo sur le marché russe et la baisse de la demande chinoise.

Ce léger redémarrage profite à toute la Nouvelle-Zélande : le bénéfice pour l’économie nationale est évalué à un milliard de dollars. Il vient, surtout, redonner des couleurs à la plus grande laiterie du monde, durement touchée ces dernières années.

Avec ses prairies à perte de vue, le petit pays de 4,4 millions d’habitants est parvenu en quarante ans à devenir le premier exportateur mondial de produits laitiers. Une montée en puissance obtenue grâce à des coûts de production et un prix du lait parmi les plus faibles au monde, à environ 200 euros les 1 000 litres.

A titre de comparaison, de leur côté, les éleveurs français ont obtenu mardi 30 août que la tonne de lait leur soit payée 290 euros en moyenne pour les cinq derniers mois de l’année, ce qui porte à 275 euros le prix moyen sur l’année 2016.

Pour mener à bien cette stratégie du « low cost », la Nouvelle-Zélande a misé sur ses points forts : ses vastes pâturages, son relief adapté aux larges troupeaux, et son légendaire climat austral, particulièrement propice à la pousse d’une herbe grasse et dont les hivers doux épargnent les bêtes. Entre les années 1970 et 2000, le pays a ainsi vu sa production tripler, et commencé à inonder la planète de ses laitages à bas coût.

Cette stratégie a trouvé son aboutissement en 2001 dans la constitution du groupe Fonterra. La coopérative, qui rassemble la quasi-totalité des 10 500 éleveurs du pays, fait vivre plus de 35 000 personnes. Hyperstructurée, elle s’est imposée sur la scène mondiale, et ses tarifs sont vite devenus une valeur référence pour le prix d’achat du lait, au grand dam des Européens, qui gardent un système beaucoup plus éclaté.

En 2008, la signature d’un traité de libre-échange avec la Chine a assis la domination de l’île. La toute-puissance du secteur dans l’économie néo-zélandaise est devenue telle que la monnaie du pays elle-même souffre d’une dévaluation en cas de baisse des cours.

Fonterra, premier exportateur mondial de lait paiera 50 centimes de dollars NZ de plus le kilo de matière sèche pour la saison 2016 - 2017, soit une hausse de près de 11 %. | ELOY ALONSO / REUTERS

« La chute a été très lourde »

Après les années de vache grasses, la crise financière de 2008 a ouvert celle des vaches maigres, et le modèle extensif néo-zélandais a trouvé ses limites. Face aux fluctuations du marché, les éleveurs du pays, dont toute la production est dédiée à l’exportation, ont été poussés à faire grossir toujours plus leur cheptel, et les pâturages si généreux n’ont plus été suffisants.

L’île australe a adopté progressivement un modèle intensif, multipliant les importations de tourteaux de soja et de palme venus d’Indonésie. Le marché explose : en 2014, 75 % de la poudre de lait entier exportée dans le monde est néo-zélandaise.

Dans le même temps, la pression foncière s’est envolée, et les éleveurs néo-zélandais, à leur tour, ont découvert la violence de l’endettement. En 2014, la production mondiale est devenue trop importante. La source de « l’or blanc » se tarissant, beaucoup d’élevages ont été contraints de se séparer d’une partie de leur cheptel.

« La chute a été très lourde », résume Chris Lewis, président du syndicat des éleveurs du Waikato, qui précise que la collecte néo-zélandaise a diminué d’environ 4 % cette année. Pour le producteur Tom Avery, le seuil de rentabilité est désormais de 391 dollars NZ (255 euros) la tonne de lait.

L’annonce de la hausse des prix d’achat de Fonterra signifie-t-elle une sortie du tunnel ? Le président de la coopérative s’est montré prudemment optimiste : « Nous pressons les éleveurs d’être vigilants dans leur budget », a-t-il martelé. Pour le syndicat des éleveurs du Waikato, la prudence est également de mise. « Nous avons retenu la leçon de la crise financière de 2008-2009 et de ses conséquences. Nous avons appris à ne surtout plus nous emballer », conclut Chris Lewis, qui ne prédit pas de hausse de production pour l’année 2017.