Samedi 27 août, les Gabonais étaient appelés à élire leur président lors d’un scrutin à un tour. Depuis, tout le pays était suspendu aux résultats, qui ont finalement proclamé vainqueur, mercredi, le président sortant Ali Bongo Ondimba avec 49,8 % contre 48,23 % pour Jean Ping.

Le soir même, l’élection présidentielle gabonaise a pris un tour dramatique. A Libreville, la capitale, des affrontements ont éclaté entre les habitants et les forces de sécurité, réprimés à coups de lance à eau et de gaz lacrymogènes. Dans la nuit, le quartier général de campagne du candidat de l’opposition Jean Ping (73 ans), qui revendiquait la victoire depuis plusieurs jours, a été pris d’assaut par des bérets verts de la garde républicaine. L’attaque conduite dans le quartier des Charbonnages aurait duré plusieurs heures au milieu de la nuit alors que de nombreux militants s’y trouvaient ainsi que plusieurs responsables politiques. « Ils ont bombardé par hélicoptères, puis ont attaqué au sol », a déclaré Jean Ping qui affirme qu’au moins deux personnes ont été tuées.

Comment allez-vous ? Etes-vous en sécurité ?

Jean Ping Personne n’est plus en sécurité au Gabon. Nous avons un tyran qui tire sur sa population comme Al-Assad. Qui peut être en sécurité dans ces conditions ? Personne !

Que savez-vous de l’attaque qui s’est produite dans la nuit de mercredi à jeudi sur le quartier général de l’opposition ? Et quel en est le bilan d’après vos informations ?

Mercredi soir [31 août], nos militants, comme tous les soirs, veillaient à l’extérieur du bâtiment pour protéger des leaders importants qui s’y trouvaient. Parmi eux, il y avait Zacharie Myboto, René Ndemezo’o. Ils pensaient y être plus en sécurité que chez eux, où ils risquaient d’être enlevés. J’allais passer la nuit là-bas mais j’ai préféré regagner un autre endroit. Vers 1 heure du matin, un hélicoptère a bombardé le quartier général. Puis la police, la garde présidentielle et des mercenaires ont attaqué la résidence. Ils ont tout cassé à l’intérieur. Nous avons enregistré deux morts et plusieurs blessés. L’un des morts est toujours dans l’un des bureaux. Nous n’arrivons pas à l’évacuer car la garde présidentielle est toujours là. C’est grave un président qui tire sur son peuple. Nous devrions avoir la même indignation que quand le président Al-Assad bombarde les Syriens.

Présidentielle au Gabon : « On a vu des scènes de guérilla urbaine à Libreville »
Durée : 03:11

Est-ce que des leaders de l’opposition ont été arrêtés ?

Oui, on me dit qu’ils sont en train d’être déferrés vers la gendarmerie.

Quel message lancez-vous aux Gabonais ?

C’est à Ali de lancer un message. C’est lui qui organise la violence et l’instrumentalise. Nous, nous n’avons pas tiré sur la population. Ce sont nos partisans qui sont morts. C’est à lui de régler les problèmes.

Mais est-ce que vous appelez la population à maintenir la mobilisation, à descendre dans la rue au risque de nouvelles violences ?

Comment voulez-vous que j’appelle la population à descendre ou non dans la rue ? Nos militants sont muselés, tués. Eux, je les contrôle. Je ne contrôle pas le reste de la population. C’est Ali qui détient la clé. Pas moi.

Quel message lancez-vous à Ali Bongo ?

Premièrement, qu’il cesse de tuer le peuple gabonais. C’est lui qui tire, personne d’autre. Nous n’avons pas d’armes. Ensuite, qu’il accepte le verdict des urnes. Il doit accepter le recomptage des voix, bureau par bureau, en présence d’observateurs internationaux. C’est simple.

Des écoutes téléphoniques entre vous et Mamadi Diané, un conseiller du président ivoirien Alassane Ouattara, ont été rendues publiques. Celles-ci laissent penser que vous aviez préparé un plan en amont pour contester les résultats des élections. Le pouvoir gabonais vous accuse de tentative de déstabilisation du pays. Que répondez-vous ?

Vous avez écouté cet enregistrement, non ? Ce monsieur me parle et je réponds seulement « hum, hum, hum ». Qu’est-ce qu’il y a de grave là-dedans ? Et s’il y a une stratégie de contestation préparée en amont, où est le problème ? Nous sommes face à des gens qui trichent en amont. Ils font voter des Congolais, des Sénégalais, des Maliens en amont. Vous voulez que nous n’ayons pas de stratégie pour contrer cette fraude massive ? Nous avons des brigades anti-fraude.

La France et l’Union européenne demandent la publication des résultats de tous les bureaux de vote. Est-ce que cela signifie que les pays occidentaux sont en train de lâcher le pouvoir gabonais ?

Est-ce que vous croyez que les pouvoirs que vous mentionnez doivent continuer à soutenir un tyran qui tire sur sa population ? Et qui ne les écoute pas ?

Aujourd’hui, quelles relations entretenez-vous avec les autorités françaises ?

Je fais tout pour avoir d’excellentes relations avec les Français de gauche comme de droite.

Quelles sont vos relations avec les chefs d’Etat de la région, le Congolais Denis Sassou-Nguesso, et l’Equato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema ? Certains disent qu’ils ont financé votre campagne ?

Tout cela, c’est de la spéculation. J’aurai voulu qu’Obiang Nguema me donne un penny. Il ne m’a pas donné un seul penny. S’il me le donnait par hasard, devrais-je le refuser ?

Ali n’a-t-il pas bénéficié des financements d’Obiang Nguema en 2009 ? Il a bénéficié des financements de tous ces chefs d’Etat. Moi non. Pourquoi et comment voulez-vous que Denis Sassou-Nguesso finance ma campagne ? Si vous avez des éléments, donnez-les ! Je sais qu’il a financé la campagne d’Ali à hauteur d’un milliard de francs CFA [1,5 million d’euros]. Il suffit de le leur demander.

Est-ce que vous craignez que les appels au calme lancés par des chancelleries fassent le jeu du pouvoir ? Elles demandent à ce que la contestation se fasse par voie légale…

Est-ce qu’il y a une légalité au Gabon ? Quelle est la voie légale de la contestation au Gabon ? Nous avons épuisé tout ce qui est légal. Nous avons commencé il y a longtemps par entreprendre une action judiciaire auprès de la Cénap [la commission électorale] et de la Cour constitutionnelle. Nous savions que ces gens étaient à la solde du régime. Nous l’avons quand même fait pour ne pas qu’on nous accuse de ne pas avoir épuisé les voies dites légales.

Evidemment, comme à l’accoutumée, ces instances à la solde du régime se sont prononcées en faveur du régime. Puis nous avons lancé des marches pacifiques. Les leaders politiques qui étaient en avant des cortèges ont été gazés, maltraités. Quelle est la légalité dont vous parlez ?

Cela signifie que vous n’allez pas faire de recours devant de la Cour constitutionnelle ?

C’est ce que nous sommes en train de faire. La Cénap a accepté de publier des résultats bidons préfabriqués par le ministre de l’intérieur. Nous avons protesté, nous avons demandé qu’on recompte sous la supervision des organisations internationales, bureau par bureau. C’est ça la légalité qui est toujours bafouée.

Jean Ping : "Qu'Ali cesse de tuer le peuple gabonais"
Durée : 01:49