« Selon l’Observatoire des drogues et toxicomanies en France, la moitié des psychotropes consommés par des jeunes de 17 ans n’ont pas été prescrits par un médecin ». | Toby Talbot / AP

Obligation de la performance, stress chronique, sentiment de ne plus pouvoir faire face… La pression au travail conduit une part non négligeable des jeunes actifs à recourir à des psychotropes, somnifères et tranquillisants. « On a constaté que 20 % à 25 % de jeunes diplômés en prennent pour réussir leurs examens ou faire face à l’anxiété au travail », pointe Jean-Claude Delgènes, directeur général du cabinet Technologia, spécialisé dans l’évaluation et la prévention des risques professionnels.

Alors que la France affiche l’un des plus hauts niveaux de productivité horaire au monde, selon les statistiques de l’OCDE, sa population est l’une des plus stressées des pays développés. La part de la population totale ayant pris un psychotrope sur un an est deux fois supérieure à la moyenne des pays européens frontaliers, selon un rapport sur « Le bon usage des psychotropes » de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé publié en 2006. Près de 61 % des salariés interrogés dans le baromètre Cegos Climat social et qualité de vie au travail, paru fin 2015, affirment subir un stress régulier. Ce sont les jeunes et les seniors qui affichent les taux les plus élevés.

En cause, selon Jean-Claude Delgènes, la difficulté de la jeune génération à s’insérer sur le marché du travail. « Pour conserver son premier emploi, il y a l’obligation d’être performant, pointe-t-il. Dans une de nos études sur l’impact du travail dans la vie privée, 30 % des jeunes interrogés considéraient qu’ils devaient se montrer disponibles 100 % de leur temps pour leur employeur ! »

Médicaments détournés de leur usage

Pour se donner un coup de fouet, les jeunes actifs se tournent vers les psychostimulants. En premier lieu, des compléments alimentaires ou des boissons énergisantes à base de caféine. Mais quelques-uns utilisent aussi les médicaments détournés de leur usage, comme la Ritaline et le Modafinil. A l’origine destinés aux personnes souffrant d’hyperactivité et de narcolepsie, ces produits sont réputés booster les capacités intellectuelles. Selon un médecin
militaire interrogé par une commission parlementaire sur les opérations menées pendant la guerre du Golfe, le Modafinil est utilisé par les soldats français pour rester éveillés plus de quarante-huit heures d’affilée.

La consommation de ces médicaments, surnommés « smart drugs », se banalise dans le monde anglo-saxon. Si en France, leur usage détourné reste très minoritaire, pas moins d’un tiers des jeunes étudiants en médecine y ont déjà eu recours, selon une étude menée en 2015 par un groupe de médecins. « La prise de psychostimulants se retrouve en particulier chez les jeunes diplômés dans le secteur de la publicité et des métiers créatifs, où l’on doit sans cesse être productif et innovant », ajoute M. Delgènes.

C’est souvent pendant leurs études, pour réussir leurs examens, que les étudiants essaient pour la première fois les psychotropes. Selon l’Observatoire des drogues et toxicomanies en France (OFDT), 19 % des jeunes de 16 ans en ont déjà pris. Une habitude qui perdure à l’entrée sur le marché du travail.

Les vertus de la pharmacie familiale

Toujours selon L’OFDT, la moitié des psychotropes consommés par des jeunes de 17 ans n’ont pas été prescrits par un médecin ! Le premier fournisseur reste « la pharmacie familiale », souligne le DWilliam Lowenstein, président de l’association SOS Addictions. Dans 27 % des cas, c’est même l’un des parents qui propose le psychotrope à son enfant. « Les parents laissent faire, car ils considèrent que leur consommation reste occasionnelle, relève M. Delgènes. Mais le conjoncturel devient souvent structurel. »

Les effets secondaires des psychotropes restent mal évalués. Cet été, des chercheurs d’Oxford ont créé la polémique en annonçant que le Modafinil était dépourvu d’effets secondaires à court terme chez les sujets sains. Déjà en 2008, des scientifiques anglo-saxons suggéraient dans la revue britannique Nature que « dans un monde où la durée de la vie professionnelle et l’espérance de vie augmentent, les outils, y compris pharmacologiques, qui stimulent les capacités cognitives seront de plus en plus utiles pour améliorer la qualité de vie et la productivité au travail. »

Les médecins s’accordent pourtant pour constater des troubles de l’attention, de l’humeur et des risques de pharmacodépendance. « Il n’est pas normal de devoir prendre des médicaments pour tenir la cadence », souligne M. Delgènes.