LA LISTE DE NOS ENVIES

Cette semaine, ne manquez pas le thriller atroce et grandiose de Don Winslow ; la fable grinçante sur une France amorphe et gouvernée par l’extrême droite de Karim Amellal ; ou encore l’enquête menée par Agnès Giard sur les « love doll », étonnant phénomène culturel japonais.

THRILLER. « Cartel », de Don Winslow

Cartel est davantage qu’une suite à la Griffe du chien (2005) : c’est un autre monde. Au Mexique, la guerre entre les narcotrafiquants a pris une nouvelle tournure. La violence fait système. Elle tue en masse. Elle désorganise des régions entières. Elle vide des vallées entières de ses habitants. Elle corrompt les uns, des gamins des rues jusqu’à ceux qui travaillent à Los Pinos, la présidence de la république mexicaine, et elle terrorise les autres.

La « griffe » s’est transformée en greffe. L’auteur de Mort et vie de Bobby Z et de Savages (respectivement Belfond, 1998, et Le Masque, 2011), adaptés au cinéma (Cartel le sera par Ridley Scott), accomplit le miracle d’inscrire le romanesque pur jus (vengeances, passions, trahisons) dans le plus strict réalisme documentaire, sans que les personnages, pions de la mondialisation, paraissent épinglés dans le cadre. Mieux, romanesque et réalisme se renforcent ici l’un l’autre. Mêmes engrenages. C’est atroce et grandiose. Macha Séry

SEUIL

« Cartel » (The Cartel), de Don Winslow, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch, Seuil, 720 p., 23,50 € (en librairie, le 8 septembre).

ROMAN. « Bleu Blanc Noir », de Karim Amellal

France, 2017. Mireille Le Faecq, présidente du Parti national, accède au pouvoir. Le narrateur, Français d’origine maghrébine, directeur d’une banque d’investissement, se retrouve aussi « dévasté, humilié, choqué, révolté, fou de rage » après chaque nouvel attentat islamiste. Il voit peu à peu son univers social et familial se disloquer, expérimentant l’indifférence de la société et les bassesses de la plupart de ses amis, quand il faudrait « attirer des étrangers, faire croître l’économie, créer des emplois » pour guérir le mal.

Dans une langue aussi poétique qu’efficace, Karim Amellal mène tambour battant le portrait à peine satirique d’un pays « sous le joug permanent du terrorisme », nourri de la propagande de « BSN TV » et où les classes éduquées, prises entre « la bulle de l’entrepreneuriat, des start-up et des geeks » et « la dernière application de livraison de cheeseburgers à domicile », ont atteint « le degré zéro de la pensée collective ». Eric Loret

L'AUBE

« Bleu Blanc Noir », de Karim Amellal, L’Aube, 406 p., 23 €.

ESSAI. « Un désir d’humain. Les “love doll” au Japon », d’Agnès Giard

Les love doll, loin d’être des objets neutres, mobilisent au Japon toutes sortes d’affects pouvant mener l’heureux propriétaire à des relations de longue durée. La plongée que propose la journaliste et anthropologue Agnès Giard dans les visions, les fantasmes et les projections qui parviennent à mener les poupées au bord de l’existence intrigue.

Qu’elles soient conçues par Orient Industry, la firme historique, née dans les années 1970, ou des concurrents plus récents, ces créatures dégagent un érotisme qui leur est propre et dont les ressorts profonds puisent au cœur de la culture japonaise. Les vrais amateurs aiment la non-complétude de la poupée, le bricolage auquel oblige son arrivée en pièces détachées. Dans sa cavité intérieure – le vide au centre de la coque – et sa béance où le vagin détachable se fixe, ils ne voient point un défaut, explique l’auteure, mais une passerelle offerte vers leur propre monde intérieur. Julie Clarini

LES BELLES LETTRES

« Un désir d’humain. Les “love doll” au Japon », d’Agnès Giard, Les Belles Lettres, « Japon », 376 p., 25,90 €.

ROMAN. « Dans l’existence de cette vie-là », de Caroline Hoctan

Débarquant dans le « Nouveau Monde » au moment de la crise de 2008, le narrateur se libère peu à peu de l’emprise des bulletins d’information catastrophiques pour faire confiance à sa bonne étoile, celle qui orne son sac et dont les six branches pointent vers autant d’œuvres fétiches.

Parsemée de rencontres qui l’entravent ou la relancent, son odyssée en quête des portes du « pays où l’on n’arrive jamais » est le prétexte à mobiliser plusieurs centaines de citations, sans jamais nommer les auteurs sinon par périphrases. L’index figurant en fin de volume, qui restitue au lecteur les clés de ce jeu de piste, donne la mesure de la véritable cosmogonie littéraire qui se déploie ici pour étayer la quête du narrateur, qui voudrait comprendre le « secret » de la littérature : comprendre ce qu’elle secrète, aussi bien, et continuera de secréter dans nos vies tant qu’il se trouvera des lecteurs pour l’animer.

FAYARD

« Dans l’existence de cette vie-là », de Caroline Hoctan, Fayard, 478 p., 23 €.