Rue de la Haie-Coq, dans le quartier du commerce de gros à Aubervilliers. | CAMILLE MILLERAND/DIVERGENCE POUR "LE MONDE"

La mort d’un père de famille chinois, Chaolin Zhang, le 12 août, a été l’agression de trop. Après trois rassemblements à Aubervilliers, des membres de la communauté d’origine chinoise de la ville de Seine-Saint-Denis ont prévu de manifester à Paris, dimanche 4 septembre, pour protester contre la violence dont ils se disent victimes. Zhang Chaolin, un couturier de 49 ans résidant à Aubervilliers, avait été agressé le 7 août en fin d’après-midi alors qu’il marchait en compagnie d’un autre homme de nationalité chinoise. Plusieurs individus les avaient molestés avant d’arracher la sacoche de ce dernier. M. Zhang avait heurté le trottoir de la tête après avoir reçu un coup de pied à la poitrine. Il était mort après cinq jours de coma.

Trois agresseurs présumés ont été interpellés le lundi 29 août, une semaine après que le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, eut promis « de renforcer davantage les effectifs de police à Aubervilliers ». Cela n’aura pas suffi à calmer le sentiment d’insécurité d’une population prise pour cible, car réputée transporter d’importantes sommes d’argent liquide. Pour la maire (PCF) d’Aubervilliers, Meriem Derkaoui, la commune devrait compter au minimum trois cents policiers, contre « cent cinquante » actuellement.

« Il y a quelques années, une femme d’origine chinoise s’est fait voler 42 000 euros qu’elle avait dans son sac, sa recette de la journée », assure Farid, un habitant du quartier des Landy. « Après ce vol, on a gagné trois ans d’agressions contre les Chinois. »

De 3 000 à 4 000 personnes chinoises ou d’origine chinoise vivent à Aubervilliers sur une population totale de 77 000 albertivillariens. Jacques Salvator, l’ancien maire rocardien, a développé une politique de partenariats économiques avec la région de Wenzhou, à 400 kilomètres au sud de Shanghaï. Une politique qui a porté ses fruits. La ville du nord de Paris est devenue la première plate-forme d’import-export avec la Chine en Europe. Mais, aujourd’hui, la communauté chinoise est excédée du climat d’insécurité qui règne et paralyse les affaires.

De peur de se faire agresser, de nombreuses personnes d’origine chinoise font appel à la communauté pour les escorter sur le chemin du travail. Au Fashion center où des dizaines de boutiques vendent du textile, Hali a changé ses habitudes. « Quand j’ai besoin de prendre un sac avec moi, je prends un sac à dos et je fais attention à ce qu’il soit bien fermé. C’est exclu de porter un sac à bandoulière ! », s’exclame-t-il. « Tout le monde connaît quelqu’un qui s’est fait agresser, raconte Rui Wang, président de l’Association des jeunes Chinois de France. Sur fond de racisme, on dit que les chinois ont beaucoup de liquide sur eux. Mais la plupart sont très pauvres. Les quelques Chinois qui arrivent à faire fortune n’habitent pas à Aubervilliers. »

Rui Wang, à l’origine du comité de soutien à la famille de Chaolin Zhang, le couturier tué le 12 août, milite pour un renforcement des effectifs de police et l’installation de caméras de sécurité. Pour lui, il y a eu un changement dans la stratégie des voleurs, qui sont de plus en plus violents. « Ils arrivent à trois ou cinq et agressent les Chinois avant de les voler. Ils ne se contentent plus de nous faire les poches », avance-t-il.

« Pour faire fortune, mieux vaut rester en Chine »

Dans la ville, les vols avec violence visant la communauté chinoise ont triplé en un an. Sur les sept premiers mois de 2015, la préfecture en a recensé 35. Sur la même période, un an plus tard, il y avait 105 vols avec violence contre des Chinois, sur un total de 666, toutes communautés confondues.

A ces problèmes d’insécurité s’ajoutent des perspectives de travail qui ne font plus rêver. L’import-export ne fait plus recette et les espoirs de réussir en France sont déçus. A tel point qu’aujourd’hui les immigrés chinois déconseillent à leurs compatriotes de venir en France. « Pour le tourisme, ça va. Mais pour faire fortune, maintenant, il vaut mieux rester en Chine », témoigne Zhou, qui est aujourd’hui à la tête de deux magasins de maroquinerie, alors qu’il y a trente ans il travaillait à la confection des sacs.

« Une forte solidarité entre nous »

Un à un, il a gravi les échelons, travaillant jusqu’à douze heures par jour. Il est aujourd’hui grossiste, à deux pas de la rue de la Haie-Coq, le triangle d’or de l’import-export où fourmillent les camions de livraison et les cartons en provenance d’Asie. Assis dans un fauteuil en cuir devant son magasin, où est garée la grosse berline d’un autre commerçant, Zhou raconte son succès. Arrivé dans les années 1980, il a travaillé dans la confection puis dans des cuisines, avant d’ouvrir son propre restaurant qu’il a ensuite revendu pour se réorienter dans le commerce de gros.

Aujourd’hui, il préside une des nombreuses associations d’entraide communautaire. « Il y a une forte solidarité entre nous. Tout le monde se connaît ici », dit-il en consultant sur son smartphone l’application WeChat, une messagerie très utilisée par la communauté pour communiquer avec la diaspora ou la famille restée en Asie. Une application qui sert aussi, désormais, à poster des appels au secours en cas d’agression.

Alors que l’import-export souffre de la crise et que le développement économique offre des opportunités d’enrichissement en Chine, l’insécurité pourrait achever de décourager l’émigration chinoise. « Les gens n’osent plus venir ici. Pourquoi prendre des risques ? », interroge Zhou.