Quentin Bertoux / Agence VU

L’idée avait trotté dans la tête des dirigeants il y a quelques années, sans jamais se concrétiser. Mais le 28 juin, l’Institut français de la mode (IFM) et l’Ecole de la Chambre syndicale de la couture parisienne ont officiellement ­annoncé leur « rapprochement ­stratégique ».

Cette décision fait suite à la commande d’une étude sur l’avenir de l’Ecole de la chambre syndicale. Pendant plusieurs mois, un expert académique a exploré l’écosystème actuel, étudié l’institution, pour enfin présenter ses résultats au nouveau président exécutif de la Fédération française de la couture, Pascal Morand, dont dépend l’Ecole de la Chambre syndicale. Celui-ci, qui fut le premier directeur général de l’IFM, de sa création en 1986 à 2006, a succédé en janvier à Stéphane Wargnier à la Fédération.

« Les résultats de l’étude avançaient deux scénarios : un développement autonome mais difficile, ou un rapprochement stratégique avec l’IFM. Les membres n’ont pas hésité une seconde. Dans le contexte actuel, et surtout sur le plan mondial, il fallait joindre nos efforts », confie-t-il. Du côté de l’IFM, le président du conseil d’administration, Pierre Bergé (actionnaire, à titre privé, du groupe Le Monde), a adhéré au projet, animé par l’envie d’élargir encore plus la base d’étudiants de l’établissement, qui ne recrute aujourd’hui qu’après plusieurs années d’études après le bac. « Ce rapprochement a pour ambition de doter la France d’une école de mode de référence mondiale, fondée sur des valeurs d’ouverture et de diversité, accueillant aussi bien des apprentis en CAP que des étudiants en bac + 5 », expliquait Pierre Bergé dans le communiqué du 28 juin.

« Le système d’enseignement supérieur de la mode en France n’était pas à la hauteur du poids de l’industrie.» Dominique Jacomet, directeur général de l’Institut français de la mode

Sur le papier, le rapprochement ressemble à une évidence : d’un côté, l’Ecole de la Chambre syndicale de la couture parisienne, créée en 1927 pour fournir les ateliers des grandes maisons de couture, est reconnue comme l’une des meilleures formations en création de mode, particulièrement dans la technique et le savoir-faire. En sont sortis André Courrèges, Rabih Kayrouz, Tomas Maier (directeur artistique de Bottega Veneta), Issey Miyake, Véronique Nichanian (directrice artistique du prêt-à-porter masculin d’Hermès), Yves Saint Laurent, Valentino, etc.

De l’autre côté, l’Institut français de la mode livre chaque année à l’industrie de la mode française internationale des manageurs et autres spécialistes du marketing de haut niveau. « Très simplement, le système d’enseignement supérieur de la mode en France n’était pas à la hauteur du poids de l’industrie, qui génère 150 milliards de chiffre d’affaires et emploie 600 000 personnes », argumente Dominique Jacomet, actuel directeur général de l’IFM.

Pas de campus commun

La transition et le nouvel ensemble seront pilotés par l’IFM, « qui a plus d’expérience académique », note Pascal Morand, et, même si rien n’est arrêté, cette « nouvelle école » conservera l’intitulé « IFM », connu déjà dans le monde entier, et, bien plus facile à promouvoir que « l’Ecole de la chambre syndicale de la couture parisienne ». Elle accueillera 700 étudiants, dont 200 apprentis et alternants, et 2 000 cadres en formation continue.

Il faut évidemment s’attendre à voir quelques changements au sein des formations. « Certaines fonctionnent très bien, comme le programme management de l’IFM, ça ne sert à rien de les déstabiliser, mais sur d’autres parcours, il faut accélérer les synergies », précise Pascal Morand. Les premières modifications auront lieu, à petite dose, à la rentrée 2017 avant le grand « bouleversement » prévu pour la rentrée 2018. « Il y a une ambition de rayonnement mondial, lance Pascal Morand. Mais surtout, une affirmation de la création. Nous ne voulons pas copier le modèle américain où l’étudiant doit savoir tout faire. Il y a des métiers bien différents, des formations différentes, mais ce qui sera nouveau, c’est qu’ils se côtoieront tous quotidiennement, comme dans une grande entreprise. » Cela dit, un campus commun, même s’il est désiré par tous, ne se fera pas de sitôt. Le bail de l’Ecole de la Chambre syndicale court jusqu’en 2019.

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Il n’y a pas que le domaine du privé qui opère une mutation. Motivée par un rapport très critique remis par la conseillère (PS) de Paris Lyne Cohen-Solal aux ministères de l’économie et de la culture en décembre 2015, Fleur Pellerin avait décidé d’agir en lançant le chantier d’une « grande école de mode publique ». Audrey Azoulay, qui l’a remplacée en février à la culture, devrait poursuivre l’effort. La nouvelle structure sera le fruit d’une association de compétences entre l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs, les Mines et Paris-Dauphine, et accueillera une dizaine d’élèves dès la rentrée 2017, selon Lyne Cohen-Solal.

Des écoles privées onéreuses

L’école Duperré, seul véritable établissement public consacré entièrement à la mode, va quant à elle s’associer à l’université Paris-III pour proposer un tout nouveau parcours bac + 5 dès septembre 2017. « La stratégie est simple pour ces établissements : pour délivrer un diplôme de grade master, ils doivent s’associer à une université, habilitée automatiquement à le faire, explique Lyne Cohen-Solal, auteur du rapport et participante à ces discussions. De nombreux domaines pourront être abordés dans ce master : création pure, journalisme, histoire, etc. »

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Ces trois évolutions sont motivées par toutes une série de raisons bien connues dans le secteur : un manque de lisibilité des formations de mode, dont les intitulés d’études, parcours et matières enseignées sont aussi divers et nombreux que les écoles (environ une soixantaine selon le rapport ministériel) ; l’absence en France de grands programmes compétitifs à l’international, qui incite les jeunes talents français à aller étudier chez les concurrents anglais, belges et finlandais, et ne parvient pas à attirer les pépites venues d’ailleurs ; et, au niveau de l’Etat, un désengagement historique envers ce domaine, qui a laissé la voie ouverte aux écoles privées, moins accessibles car onéreuses, même si beaucoup proposent des bourses (40 % des étudiants de l’IFM sont boursiers, selon Pascal Morand).

« Ces évolutions tirent l’éducation vers le haut. Jusqu’à présent le système était enrayé, et maintenant on est à deux doigts d’avoir à Paris trois pôles de formation de mode ultra-performants. Il y a en ce moment un alignement des planètes à tous les niveaux de décisions que je n’ai jamais vu auparavant », pointe Lyne Cohen-Solal. Reste encore le plus dur : tenir ces promesses.