L’Egypte a voté pour la première fois, mardi 30 août, une loi sur la construction et la rénovation des églises, controversée au sein de la communauté chrétienne. Le Parlement a validé à la majorité des deux tiers le projet de loi gouvernemental rédigé à la suite d’âpres négociations entre l’exécutif et les représentants des cultes concernés : les Eglises copte orthodoxe, évangélique, protestante et catholique. Attendue avec ferveur par cette minorité représentant entre 6 % à 10 % d’une population de 91 millions d’habitants à majorité musulmane, la nouvelle législation fait débat. Si elle offre une procédure administrative simplifiée pour la construction des lieux de culte, elle est jugée discriminatoire par les représentants chrétiens.

Particulièrement décrié, l’article 2 de la loi conditionne l’autorisation de bâtir un lieu de culte chrétien, et en détermine la superficie, calculée selon le nombre de fidèles dans la localité concernée. Une condition inexistante pour la construction des mosquées. « Je me suis opposée et ai réclamé la suppression de cet article qui constitue une condition pouvant empêcher la construction des églises », résume Nadia Henry, une députée qui s’est fait remarquer par ses prises de position acerbes durant le processus législatif. « La lacune fondamentale de cette loi, en particulier avec cette disposition, est qu’elle n’a pas donné lieu à un véritable débat de société », estime l’élue du parti des Egyptiens libres

Un progrès malgré tout

Si les citoyens ont été écartés du débat, l’Eglise copte, représentant la plus importante communauté chrétienne d’Egypte, n’avait pas manqué de fustiger des « amendements inacceptables » constituant une atteinte à « l’unité nationale » et remettant en cause la « citoyenneté des chrétiens ». A l’issue d’un synode exceptionnel, l’Eglise a finalement donné son approbation tard dans la nuit du 24 au 25 août. L’Eglise copte orthodoxe a laissé de côté frustration et mécontentement par soutien au régime du président Abdel Fatah Al-Sissi et par crainte d’une remise en cause de la loi perçue malgré tout comme un progrès.

La loi votée par le Parlement figurait parmi les promesses constitutionnelles concédées par le chef de l’Etat à la communauté chrétienne. « Nous attendons cette loi depuis cent soixante ans », se félicite la députée du parti des Conservateurs, Evelyne Mata Boutros. A l’issue de la séance parlementaire, l’élue a salué une loi qui devrait, selon elle, faciliter la construction des églises : « Cette nouvelle législation offre une procédure administrative simplifiée pour construire des lieux de cultes chrétiens et permet également de régulariser les églises bâties sans autorisation. » En raison des démarches arbitraires et interminables jadis imposées, plus de deux mille églises ont été construites illégalement. Les partisans de la loi espèrent qu’elle sera effectivement appliquée, notamment dans les villages reculés de Moyenne et Haute-Egypte.

La loi a d’ailleurs été discutée alors que les chrétiens sont échaudés par la persistance des violences dans ces localités qui abritent aussi de nombreux salafistes et des Frères musulmans. L’institution copte a enregistré au moins 37 attaques depuis 2013, et le renversement par l’armée égyptienne du président issu des Frères musulmans, Mohamed Morsi. En mai, une femme âgée a été agressée et plusieurs maisons de chrétiens ont été brûlées dans la région d’Al-Minya, suscitant la colère des villageois chrétiens contre le laxisme de l’Etat face aux violences perpétrées par des extrémistes musulmans. Le parti salafiste Al-Nour est allé jusqu’à refuser de voter la loi, la jugeant contraire au principe constitutionnel érigeant l’islam en religion d’Etat.

« Ménager les salafistes »

Pour les militants coptes, l’idée même d’imposer une loi spécifique aux lieux de culte chrétiens est perçue comme une nouvelle forme de discrimination. « Ce que nous demandons, c’est une loi commune à tous les Egyptiens qui se fonde sur la citoyenneté et le respect de la liberté de pratiquer sa religion », déclame fermement Ebram Louis. Et ce militant d’interpeller : « Je pense qu’il ne s’agit pas seulement d’une législation sur la construction des lieux de culte d’une minorité religieuse. Ce qui est en jeu est notre conception de l’Etat et la manière dont il est censé organiser la société sans discrimination entre ses citoyens ».

L’écrivain Kamal Zakher, un militant copte membre de l’ONG Les Egyptiens contre la discrimination religieuse, regrette que l’Etat égyptien se cache systématiquement derrière l’épouvantail des extrémistes pour justifier sa politique inéquitable à l’égard des chrétiens. « Certes le gouvernement a pris une décision assez compréhensible pour ménager les islamistes et les salafistes qui n’auraient pas manqué de dénoncer une loi contraire à l’islam, explique cet intellectuel engagé de longue date. Mais, en fin de compte, c’est tout de même bien ce gouvernement qui décide et fait voter cette loi. »