Marie-Rose Moro, pédopsychiatre et psychanalyste, dirige la Maison de Solenn-Maison des adolescents de Cochin. | DIDIER GOUPY

Marie-Rose Moro, pédopsychiatre et psychanalyste, dirige la Maison de Solenn-Maison des adolescents de l’hôpital Cochin. Elle publie Osons être parents, le 14 septembre, aux éditions Bayard Culture.

Comment parler aux enfants du risque terroriste ? Faut expliquer la présence de soldats armés dans les rues ?

Marie-Rose Moro : Oui, bien sûr, il faut dire aux enfants pourquoi les soldats sont devant l’école. Il faut le dire une fois simplement, et sans dramatiser ni exagérer. Leur présence est la preuve que les adultes savent protéger les enfants. Le plus difficile est de ne pas projeter nos propres angoisses.

Ma fille de 9 ans a été très affectée par l’exercice de sécurité dans l’école, où ils devaient se cacher sous les tables au cas où un méchant vienne. Comment la protéger des crises d’angoisse ?

Pour les enfants de classe élémentaire, parfois on pense qu’ils comprennent les choses comme les grands, mais en fait ils ont aussi des scénarios dans la tête, parfois plus effrayants encore que la réalité. A cet âge-là, il faut vraiment leur expliquer concrètement et simplement ces exercices, et s’intéresser aux peurs qu’ils ont. Ce sont ces peurs-là qui sont les plus inquiétantes. Il faut les aborder tranquillement, à un moment où l’enfant est rassuré et en confiance.

Mais comment ne pas transmettre à nos enfants notre propre angoisse concernant les risques d’attentat dans les écoles ?

L’angoisse des adultes est ce qui inquiète le plus les enfants de cet âge-là. Il est donc nécessaire de commencer par trouver soi-même des manières de se rassurer. Ensuite, on peut parler aux enfants. Si on leur parle simplement, cela leur fera du bien et apaisera leurs inquiétudes. Cela augmentera leur confiance dans la capacité des adultes à les protéger. C’est cela l’essentiel, à cet âge : on ne peut pas attendre d’enfants aussi jeunes qu’ils apprennent à se protéger tout seuls.

Les élèves vous semblent-ils plus stressés aujourd’hui qu’il y a quelques années ?

Oui, toutes les études montrent que nos enfants sont plus stressés à l’école aujourd’hui qu’hier. La pression scolaire est très forte, et les attentes des parents et de la société aussi. A tel point d’ailleurs qu’en pédopsychiatrie, nous voyons une véritable épidémie de phobie scolaire. C’est-à-dire des enfants qui ont une telle souffrance à l’école qu’ils ne peuvent plus y aller. Ces phobies scolaires peuvent débuter dès le début du collège, jusqu’au lycée. Il faut prendre au sérieux cette souffrance des jeunes ou des ados à l’école, et leur permettre de retrouver du plaisir à apprendre.

Pour le bien-être des enfants, ne faudrait-il pas cesser de mettre l’emphase sur leurs erreurs, empêcher toute forme de dénigrement public et plutôt féliciter leurs succès ?

C’est vrai qu’une bonne estime de soi, cela aide à être heureux et à bien apprendre. Notre école, mais aussi notre société, ne renforce pas cette idée de compétences et de savoirs qu’on peut trouver en chaque enfant. Faire confiance aux enfants et être optimiste sur leurs possibilités et leur avenir leur facilitera beaucoup la tâche. Mais il faut commencer par, nous-mêmes, changer de point de vue, et gagner en bienveillance.

Ne pensez-vous pas que les devoirs à la maison devraient être exclusivement « passifs » (lecture, écoute, visionnement) pour transférer toute la partie interactive à la salle de classe (exercices, compositions…) ?

Les devoirs sont déjà très importants dans le système scolaire français, et sources d’inégalités entre les enfants. C’est plus facile de faire ses devoirs dans des familles socialement favorisées que dans celles qui sont en difficulté. C’est pourquoi, à mon sens, ils doivent être réduits et plus intelligents, et plutôt porter sur des méthodes que sur des contenus.

Quel est selon vous le but de l’école maternelle et quels sont les enjeux, après l’école maternelle, du passage en CP ?

L’école maternelle est un moment essentiel pour la vie d’un enfant. Il est avant tout un lieu d’apprentissage de la socialisation. On apprend à se mouvoir et à être heureux dans un autre lieu que le cocon familial. De là va dépendre en grande partie la manière dont on vivra toute notre scolarité. Si l’enfant acquiert avec sécurité ces premiers apprentissages sociaux et relationnels, alors cela facilitera les grands apprentissages du CP.

Vous avez travaillé sur les difficultés propres aux enfants issus de l’immigration. Aujourd’hui, on ne parle plus pour l’enfant de « s’accommoder », mais de « s’arranger » avec différentes injonctions culturelles. Qu’en pensez-vous ?

Effectivement, nos travaux ont montré que les enfants de migrants pouvaient souffrir d’une vulnérabilité à l’école, mais aussi que, si on prend en compte leurs spécificités, ils deviennent des enfants heureux et créatifs. L’enjeu n’est pas à mon sens de « s’arranger » avec les injonctions culturelles, mais de les métisser, c’est-à-dire de prendre ce que l’on veut de chacune des manières de faire.

L’arabe sera-t-il enseigné dès le primaire cette année ?

Ce serait génial, si tous les enfants dès le primaire pouvaient accéder à l’arabe ou tout autre langue que l’anglais ou l’allemand. Etre fier de sa langue maternelle, et la parler, aide à bien parler le français et à l’aimer. Toutes les études en linguistique et en psychologie le montrent. Pourtant, l’école française ne le propose pas à tous ses enfants de migrants. Et c’est vraiment dommage de s’en priver, car le bilinguisme fait du bien à tous les enfants, qui apprennent à passer d’une langue à l’autre et à se sentir légitimes dans différentes langues. On peut toutefois saluer qu’à compter de cette rentrée, l’apprentissage d’une langue étrangère débute au CP au lieu du CE1.

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