Une photo de Mère Teresa dans la léproserie Gandhiji Prem Nivas des missionnaires de la Charité, à Titagarh, en Inde, le 3 septembre 2016. | Bernat Armangue / AP

Un miracle politique s’est produit en Inde, quelques jours seulement avant la canonisation de Mère Teresa, dimanche 4 septembre, à Rome. Le premier ministre Narendra Modi, issu du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), l’organisation matrice du nationalisme hindou qui accuse Mère Teresa d’avoir « christianisé » des milliers d’Indiens, s’est finalement incliné devant la future sainte de Calcutta.

« Au moment même où la sainteté a été accordée à Mère Teresa, qui a servi les pauvres d’Inde tout au long de sa vie, il est naturel que les Indiens se sentent fiers », a déclaré M. Modi dimanche 28 août. Une délégation gouvernementale indienne assistera à la cérémonie.

Les nationalistes hindous ne cachent cependant pas leur malaise. La religieuse, qui a obtenu le prix Nobel de la Paix en 1979, bénéficiant du statut d’icône mondiale, n’est ni originaire du pays, ni hindoue. « Vinoba Bhave, Swami Chinmayananda, Acharya Sushil Muni, et de nombreux autres n’ont pas eu la même publicité », déplore Kanchan Gupta dans les colonnes du quotidien The Daily Pioneer. L’éditorialiste regrette que l’Inde oublie d’autres de ses « héros », pointant l’« influence occidentale » dans la manière dont le pays se regarde.

D’autres nationalistes saluent timidement l’action de Mère Teresa, tout en la relativisant. « Malgré sa mission de conversion, Mère Teresa n’aurait pas pu faire ce qu’elle a fait, et réussir, dans un environnement qui n’est pas hindou », souligne Tarun Vijay, du parti Bharatiya Janata, ajoutant que « l’aide aux personnes en détresse a toujours suscité des louanges dans l’histoire hindoue ».

Capitale mondiale de la misère

Mère Teresa a jeté une lumière à la fois crue et pleine de compassion sur la misère de Calcutta. En 1950, elle fonde les missionnaires de la Charité. Deux ans plus tard, après une rencontre d’une femme agonisant sur un trottoir, elle ouvre une vieille bâtisse, le fameux « mouroir », pour accueillir ceux qui sont rejetés par les hôpitaux. En quelques décennies, l’ancienne capitale de l’empire britannique des Indes est devenue la capitale mondiale de la misère.

Ses positions contre l’avortement ou la contraception ont suscité de nombreuses critiques.

Lors d’une enquête sur les conditions de soin et d’hygiène dispensés dans les centres des missionnaires de la Charité, Aroup Chatterjee découvre que les seringues sont plusieurs fois utilisées, des médicaments périmés sont administrés, des enfants sont attachés à leur lit et l’aspirine n’est que rarement utilisée, avant que ces pratiques ne changent. « Mère Teresa a glorifié la souffrance, car elle pensait que cela rapprochait de Jésus-Christ », déplore l’auteur du livre Mother Teresa : The Untold Story (ed. Fingerprint, non traduit).

Ses positions contre l’avortement, « le plus grand destructeur de la paix », selon Mère Teresa, ou la contraception ont également suscité de nombreuses critiques. « Le mythe de Mère Teresa a éclipsé de nombreux réformateurs sociaux indiens qui luttaient pour changer les mentalités. Elle n’a rien fait pour lutter contre le système des castes et transformer la société, elle n’était qu’une obscurantiste et une démagogue », enrage Aroup Chatterjee.