Dans les rues du quartier de Xiaobei, à Canton, les ballots de tee-shirts sont entassés à la va-vite devant les centres commerciaux qui parsèment le quartier. Les enseignes « import-export », « International trading », ou « Air Freight International » clignotent discrètement le long des façades noircies par les pluies de mousson. C’est la rentrée à Canton. La capitale du delta de la rivière des Perles a toujours été le carrefour des échanges entre la Chine et le reste du monde, et la porte d’entrée des Africains. Vingt à trente mille résidents permanents, peut-être dix fois, plus sans compter les sans-papiers et les « faux touristes ». Les chiffres ne sont pas officiels mais « chocolate city », comme la surnomment les Chinois, accueille de loin la plus importante communauté africaine d’Asie.

« Pas de travail pour les jeunes Africains »

Depuis quelques mois pourtant les choses sont en train de changer : les Africains quittent la Chine. « C’est devenu trop cher, trop compliqué, confie du bout des lèvres un jeune commerçant togolais. Nous devons nous enregistrer auprès de la police pour obtenir une carte de résident, mais on nous demande sans cesse des documents impossibles à obtenir. »

C’est ce que nous confirme le représentant des Sénégalais de Chine, Mouhamadou Moustapha Dieng. Cet homme d’affaires est l’un des piliers de la communauté africaine de Canton. Depuis six ans, il représente officieusement ses compatriotes auprès des autorités chinoises. Un consul sans titre et sans gloire pour les quelque 500 Sénégalais de Chine, dont la moitié vit dans ce quartier.

« La réalité, c’est qu’il n’y a pas de travail ici pour les jeunes Africains. Et, surtout, il leur faudra tous les mois passer la frontière pour renouveler leur visa, ce qui demande beaucoup d’argent. Quand les gens seront informés de ce problème, je crois qu’ils éviteront la Chine. »

Mais beaucoup croient encore au miracle chinois. « On reçoit très souvent de jeunes Africains qui viennent nous demander de l’aide, du travail, des contacts… Mais ce n’est pas possible. Pour réussir en Chine, il faut déjà avoir des contacts, une certaine expérience et surtout les moyens de vivre ici. »

« Nettoyage »

Alhassane Diop est arrivé en Chine en 2014 grâce à une bourse du gouvernement chinois. Après des études en France, ce brillant jeune homme parfaitement trilingue est persuadé que son avenir se construira en Chine. « Beaucoup de portes étaient fermées pour moi en France. Trouver du travail, même un stage, c’est très difficile. Ici, je crois en ma bonne étoile. Mon avenir se jouera certainement entre la Chine et l’Afrique. »

Mais la plupart des Africains que nous avons croisés à Canton sont moins optimistes. Leurs études sont déjà loin et ils sont confrontés à la vie chère, au racisme et à la discrimination.

Les autorités chinoises ont débuté cette année un « nettoyage » de Xiaobei. Terminées les ruelles salles et sombres où les têtes de moutons ensanglantées jonchaient le sol. Désormais des gardiens sont postés aux entrées du quartier avec de vastes guérites et des barrières imposantes ; un commissariat de police a été construit et les boutiques doivent obtenir des licences pour exercer. Objectif : éloigner les petits commerçants du quartier.

« Ce n’est plus comme avant, explique Cissé, une commerçante ivoirienne croisée à la Grande Mosquée de Canton. C’est devenu cher, le dollar est devenu cher, vraiment le business est très compliqué actuellement pour nous. On est là et on fait ce métier donc on espère que dans l’avenir ça va aller. »

Si les échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique ont atteint 215 milliards de dollars (192,4 milliards d’euros) en 2015, il n’en reste pas grand-chose ici. Beaucoup d’Africains ont déjà quitté Xiaobei, s’estimant trop exposés aux contrôles de police, pour un quartier plus discret, moins cher, à Foshan. Et, en un an, près de 6 000 Africains auraient quitté la Chine.

Xiaobei est un miroir de cette Chinafrique du petit commerce. « Un commerce à sens unique », lance avec ironie Mouhamadou Moustapha Dieng.

Le président sénégalais, Macky Sall, ne s’y est pas trompé, débutant sa tournée chinoise par une escale dans la « ville chocolat », où un premier consulat du Sénégal sera prochainement inauguré.

Nostalgie du pays

Nous sommes au onzième étage d’un gratte-ciel anonyme du quartier. Un appartement discret d’où s’échappe l’écho entêtant d’un chant musulman mouride, une confrérie sénégalaise. Une dizaine de jeunes hommes sont accroupis, ils chantent en égrainant leur chapelet. Ils se balancent en fermant les yeux. Les chants montent et raisonnent. Difficile de se croire au cœur du poumon économique chinois.

Ici, une dizaine de jeunes Sénégalais se retrouvent chaque dimanche soir pour la prière du crépuscule. Une partie de la nuit passée à prier avant de se retrouver comme au sein d’une grande famille pour parler affaires en mangeant quelques morceaux de melon et des grains de raisin.

« C’est comme une famille ici, ce n’est pas que nous nous cachons pour prier mais, vous savez, en Chine, il faut demander des autorisations pour chaque chose et nous n’avons pas le droit de prier ainsi. »

Les mourides se retrouvent donc ainsi pour des prières d’appartement comme le font la plupart des confréries et des communautés africaines en Chine.

De l’autre côté de la rue, c’est un petit restaurant où l’on sert un excellent thiéboudiène, plat typique. Du riz au poisson cuisiné par une jeune Sénégalaise venue tenter elle aussi sa chance en Chine. Débarquée en 2012, elle vend de belles assiettes de ce plat national sénégalais. Mais le restaurant ne fait pas de publicité.

Lui aussi se cache dans les étages d’un immeuble miteux de Xiaobei. « Je n’ai pas le droit de vendre de la nourriture », nous confie-t-elle. Sur les canapés du salon transformé en salle à palabres pour les Sénégalais du quartier, trois jeunes pianotent sur leur téléphone portable en regardant la RTS d’un œil discret, la télévision sénégalaise diffusée via le réseau Internet.

Les sourires sont plus discrets à Xiaobei, où les Africains vivent entre nostalgie de leur pays et des rêves évanouis d’un eldorado chinois qui n’existe plus. Certains iront peut-être tenter leur chance dans un autre pays, au Vietnam, en Thaïlande ou en Inde. En attendant, les autres campent ici.

Sébastien Le Belzic est installé en Chine depuis 2007. Il dirige le site Chinafrica. info, un magazine sur la « Chinafrique » et les économies émergentes.