Dans le Marais, une cour intérieure abrite une grande verrière, ancienne propriété du BHV. C’est ici qu’Azzedine Alaïa, passionné d’art contemporain, a installé sa galerie en 2004. Sur deux longs murs blancs parallèles sont accrochés une quarantaine de dessins – réalisés entre juin 2015 et février – et de calques d’esquisses encadrés de noir, signature de l’architecte Claude Parent. Des silhouettes peintes à l’encre de Chine représentent robes, fourrures et manteaux, créations de son ami couturier. Les estampes, retravaillées avec son petit-fils Laszlo Parent, sont traversées d’une ligne d’argent marquant la dynamique du vêtement, en écho à la théorie de la fonction oblique de l’architecte.

Impression retravaillée, ligne feutre argenté, été 2015, par Claude Parent. | DENNIS BOUCHARD

La mode a toujours intéressé Claude Parent, jusqu’à sa mort le 27 février. Il a commencé sa carrière comme illustrateur de mode, et c’est lui le premier, au début des années 1950, qui a parlé d’architecture dans des magazines féminins. « Claude Parent interrogeait la mode de manière anthropologique. Ses dessins de mode sont le fruit d’une recherche personnelle pour tenter de mieux comprendre le corps féminin et ses mouvements », explique Donatien Grau, conseiller de la galerie.

« Chez le couturier comme chez l’architecte, l’humain est au cœur de la pensée. Et cela passe par un refus commun de la compromission. » Donatien Grau, conseiller de la galerie Azzedine Alaïa

Ses silhouettes, très sobres, n’ont ni mains, ni visage, seule une mèche de cheveux se dévoile parfois. Les chaussures scellent la posture, équilibrent l’allure. Quelques coups de pinceaux –des gestes a priori simples – suffisent pour rendre vivantes les créations textiles d’Alaïa. Le corps moulé de la femme dans une robe en maille élastique, pièce phare du créateur, est reconnaissable instantanément. « Pour Claude Parent, qui a étudié les foules et les migrations, l’absence de visage signe le désir de représenter une individualité universelle en mouvement. Chez le couturier comme chez l’architecte, l’humain est au cœur de la pensée. Et cela passe par un refus commun de la compromission », poursuit Donatien Grau.

Azzedine Alaïa, lui, ne dessine pas, il sculpte des mouvements à même le tissu ou le tricot. Le couturier n’a jamais cédé au rythme des tendances, préférant interroger, au fil des années, les « transformations silencieuses » de nos modes de vie et donc de nos vêtements. Sur l’une des esquisses, Claude Parent a dessiné une robe sur laquelle on aperçoit sa signature, une broche. L’architecte tentait de comprendre avec son propre langage la construction vestimentaire. Les derniers dessins réalisés quelques jours avant le décès de l’artiste sont inachevés. Il manque la ligne argentée tantôt oblique tantôt verticale, cette ligne qui induit le déséquilibre ; donc la prise de conscience de notre propre corps et de notre rapport à ce et ceux qui nous entourent.

Par Sophie Abriat

« Claude Parent : dessiner la mode », à la Galerie Azzedine Alaïa, 18, rue de la Verrerie, Paris 4e. Jusqu’au 25 septembre.