Lors d’un rassemblement en hommage à Arek Jozwik, un ressortissant polonais qui vivait en Grande-Bretagne avant d’être tué, à Harlow, le 3 septembre. | JUSTIN TALLIS / AFP

Il ne fait pas bon être Polonais au Royaume-Uni à l’heure du Brexit. Coup sur coup, deux agressions, dont une mortelle, suggèrent que les messages hostiles aux Européens de l’Est, lancés par la campagne des partisans de la sortie de l’Union européenne lors du référendum du 23 juin, se traduisent par des actes de violence anti-Polonais. L’émotion est telle parmi les 800 000 ressortissants installés dans les îles Britanniques que le gouvernement de Varsovie a annoncé, dimanche 4 septembre, la prochaine visite à Londres des ministres des affaires étrangères, de la justice et de l’intérieur.

Dans la nuit du samedi 3 au dimanche 4 septembre à Harlow, une ville nouvelle située à 50 kilomètres au nord de Londres, deux ressortissants polonais âgés d’une trentaine d’années ont été agressés devant un pub. « Une attaque brutale et horrible », a commenté Trevor Roe, un responsable de la police de l’Essex. L’un des hommes souffre d’une coupure à la tête et l’autre a eu le nez cassé, après que les deux ont été attaqués par un groupe de quatre ou cinq personnes vers 3 h 30 du matin. Les policiers considèrent « potentiellement » les faits comme « un acte xénophobe ».

L’affaire paraîtrait assez banale si elle n’était survenue quelques heures après une marche de deuil et de protestation organisée dans la même ville en hommage à Arkadiusz Jozwik, un ouvrier polonais de quarante ans, mortellement blessé, samedi 27 août lors d’une première agression. Là encore, la police suggère qu’il pourrait s’agir d’un « acte de haine ». Elle a interpellé six adolescents qui ont été remis en liberté sous caution.

Selon Radek Jozwik, le frère de la victime, les jeunes seraient passés à l’acte en l’entendant parler sa langue maternelle. « Ils s’en sont pris à lui parce qu’il ne parle pas beaucoup anglais, a-t-il déclaré. Les jeunes adolescents sont tellement agressifs. Les parents devraient parler à leurs enfants, ils ne les contrôlent pas. Un des jeunes a commencé et, en quelques secondes, ils étaient dix ou douze sur lui. »

Cette première agression a eu lieu vers 23 h 30 devant une pizzeria et a visé en réalité deux Polonais. Grièvement blessé à la tête, Arkadiusz Jozwik (surnommé « Arek ») est mort deux jours plus tard dans un hôpital de Cambridge. L’autre personne visée, un homme de 43 ans, souffre de fractures aux mains et de contusions au ventre. Ouvrier d’usine, Arkadiusz Jozwik était venu travailler en Angleterre en 2012, sur les conseils de son frère, installé lui depuis 2004 et citoyen britannique.

Problème diplomatique

En attendant que l’enquête établisse clairement le mobile de chaque agression, ces violences délient les langues des ressortissants polonais, qui décrivent un climat d’hostilité à leur égard depuis le référendum sur le Brexit. « Cela a donné aux Britanniques une sorte de feu vert pour être racistes, a témoigné Eric Hind, l’un des organisateurs de la marche de protestation. Nous voulons montrer à cette ville que nous allons rester et qu’ils vont devoir vivre avec nous. Nous nous sommes tus depuis trop longtemps. » Plusieurs centaines de personnes portant des drapeaux polonais ont participé à ce défilé silencieux dans les rues de Harlow.

La réalité de la vague xénophobe consécutive au référendum sur le maintien ou la sortie du Royaume-Uni de l’UE est attestée par la police. Au cours de la semaine qui a précédé le vote et celle qui l’a suivi, plus de 3 000 plaintes pour actes xénophobes ont été enregistrées – une hausse de 42 % par rapport à la même période de 2015. En rapportant cette statistique en juillet, un haut responsable policier a lui-même admis que « certaines personnes considèrent [le référendum] comme une autorisation de se comporter de façon raciste ou discriminatoire ».

Depuis le vote pro-Brexit, de nombreuses personnes originaires de l’est de l’Europe se sont plaintes de graffitis ou de remarques hostiles. De fait, la campagne du Brexit a flatté la xénophobie en promettant que la sortie de l’UE permettrait de stopper la libre circulation des travailleurs est-européens, accusés par beaucoup d’électeurs de « prendre leur travail » et de faire baisser les salaires.

Mais la gravité des agressions de Harlow a hissé la question au rang de problème diplomatique aigu. Alors que le futur statut des ressortissants de l’UE dans le Royaume-Uni post-Brexit reste flou, le ministre polonais des affaires étrangères a appelé Londres, au lendemain du meurtre d’Arkadiusz Jozwik, à lancer une « campagne d’information pour montrer que le Brexit ne signifie pas que les gens seront jetés dehors ou obligés de partir ».

La présence au Royaume-Uni de 800 000 Polonais, deuxième communauté étrangère après les Indiens, en fait un enjeu politique considérable, notamment dans la perspective des négociations sur la sortie de l’UE. Déjà, en juillet, la première ministre, Theresa May, avait condamné les « honteuses » agressions post- Brexit.

Samedi, à Varsovie, le ministre britannique des affaires étrangères, Boris Johnson, a affirmé que « Londres est la ville la plus accueillante et la plus multiculturelle du monde » et qu’« il n’y a pas de place pour la xénophobie ». Cela suffira-t-il à faire oublier que M. Johnson fut la figure de proue de la campagne pour le Brexit ?